Hunt the Truth/0384 VF
De Manikata au site n°1774
L'industrie de la silice et le profit de la tragédie dans les périphéries
Quand une espèce alien lance une attaque globale catastrophique sur une planète humaine, réduisant sa surface en une soupe chimique, la plupart d'entre nous perçoivent cet évènement comme une horrible tragédie. BXR Mining Corporation y voit une opportunité commerciale. En annihilant monde après monde dans les colonies extérieures en les bombardant de plasma, les Covenants ont fait les affaires de l'industrie de la silice en liquidant, littéralement, toute ressource ayant autrefois appartenu à quelqu'un d'autre.
Des villes accueillant des millions d'habitants furent réduites en une surface dense sans propriétaire. Dans le cadre de l'effort de reconstruction, les gouvernements offraient même des finances à ceux qui se débarrasseraient de ce condensé de civilisation, déjà emballé sous forme de verre siliceux. BXR et le reste du cartel étaient payés pour extraire de la matière première avant de la revendre pour une misère. Depuis, le discret marché de la silice est en pleine explosion.
Les politiciens déclarent que ces mines à ciel ouvert sont une étape importante pour la reconstruction, mais pratiquement aucune de ces ressources n'est utilisée pour reconstruire quoi que ce soit dans les colonies extérieures. Les prix du marché font que tout est exporté pour que les industries des colonies intérieures fabriquent tout et n'importe quoi avec. Les prix sont si bas que personne ne pense au dérangeant pourcentage de millions de gens fondus présents dans ces produits. BXR appelle cette silice « enrichie organiquement », comme par hasard riche en très profitable zéolithes, et j'imagine que quand vous avez des finances quasiment illimitées, vous pouvez déguiser la vente de victimes d'un génocide en ce que vous voulez et même payer une campagne de com pour soutenir que ces gens ont été purement évaporés. Une manipulation partielle et cynique d'une vérité bien pus dérangeante.
À mon arrivée sur BXR1774, je pensait déterrer la vérité sur le Major, mais j'ai trouvé bien plus : la culture étrange qui se forme dans les installations minières isolées. Bliss n'était plus une planète, c'était un site d'excavation industriel, pas légalement la propriété de BXR, mais ils contrôlaient au final tout. Dans les limites du périmètre d'opérations, c'était un monde étrangement animé : un complexe de bars, de casinos et de commissariats, des vendeurs de rue avec leurs kiosques à chaque coin de rue, vendant des produits horriblement chers. Vous n'imagineriez pas qu'un petit terminal plaqué or à 6000 crédits se vendrait dans une installation minière, et pourtant. Où que se pose mon regard, je voyais des travailleurs en vêtements de travail sales tapotant sur leurs appareils hors de prix.
Les mineurs vivaient une vie dure et étrange. La plupart solitaires, vivants dans des dortoirs, travaillant 100 heures par semaine pour un salaire juteux. Il se trouve que les gens sont bien plus durables que les machines dans les tempêtes de silice, jusqu'à un certain point, du moins. C'était apparemment comme ça qu'ils dépensaient leur argent, vivant dans un endroit bruyant, sale et déprimant où au-dessus des bruits des commerces, des machines et du vent, on entendait que les croassement des corbeaux survivants des ordures.
Au-delà, on ne voyait que des carrières à perte de vue, descendant quelques centaines de mètres dans la couche de silice, les foreuses et les camions vrombissant au fond. Depuis le bord, les travailleurs étaient aussi petits que des fourmis.
Au-delà de la périphérie s'étendait la véritable planète vitrifiée : une mer déchaînée et chaotique de verre noir et déchiré, créant des formes étranges, craquant et se fissurant sous chaque pas, dur et cassant puis soudain lisse. Le paysage était comme un cauchemar surréaliste, complètement abstrait jusqu'à ce qu'une forme familière ne se matérialise dans le chaos : les squelettes d'immeubles, des morceaux de véhicules, d'inattendus indices de la civilisation. J'imagine que tout fond différemment.
Je n'avais pas réalisé à quel point l'appropriation de l'endroit par BXR était flagrante jusqu'à ce que je rende compte que personne ne parlait du passé de cet endroit. Ceux qui s'en rappelaient étaient soit morts soit partis depuis longtemps. Certains endroit avaient été dégagés, pas brutalement comme pour une opération minière mais avec grand soin. J'en avait entendu parler, des gens revenant chez eux et déblayant le verre.
Même si ils ne pouvaient ou ne voulaient pas rester, ils prendraient du temps à essayer de reprendre ce bout de terrain qui leur avait été pris. Au beau milieu de cette étrangeté futile, des souvenirs de ce qui semblait naître et mourir partout : des mémoriaux aux victimes, gravés dans le verre, d'étranges restes de vies, vécues et perdues, nés dans le verre et figés dans le temps. Les autels apparaissaient de temps à autre, souvent abîmés par les tempêtes, mais parfois, ces sentiments avaient survécu. Je devais régulièrement me rappeler que près d'un demi million de personnes vivaient dans cette ville. C'était chez eux. C'était Manikata, mais pour les employés de BXR, c'était le site numéro 1774.
Qu'on puisse simplement oublier l'histoire ou non, c'était impossible d'être aveugle à la destruction. Elle était partout. Je me demandais ce qui se serait passé si l'attaque Covenante sur la Nouvelle Mombasa il y a six ans s'était étendue sur toute la Terre. Ou sur Mars. Et si les Covenants avaient décimé les mondes où les sénateurs de l'UEG et les pontes des médias avaient leurs maisons de vacance ? J'imagine que BXR et le reste de l'industrie feraient preuve d'un peu plus de respect envers ces débris. On ne saura jamais car nous avions tout fait pour que ça n'arrive pas.
Cette réalité devait être insupportable pour les gens qui s'étaient créé une vie dans ces régions reculées de l'espace. Alors que les patriotes de la Terre faisaient passer les protestations des coloniaux pour les pleurs d'enfants gâtés, il s'imposa à moi que ces gens avaient fait preuve d'une incroyable retenue. Ils auraient eu bien des raisons de déclencher une sanglante insurrection il y a des années. Si les habitants des colonies extérieures pouvaient marcher sur ce verre, peut-être ne seraient-ils pas si outragés par l'indépendantisme des colons de la périphérie. Le conflit civil serait terrible, mais ce ne serait que justice enfin rendue.
Si ils pouvaient voir ce que j'ai vu, ils comprendraient la douleur ressentie ici, conséquence de puissantes forces, l'ONI, BXR, les médias, opérant dans l'ombre. Pour l'argent ou le pouvoir, trop de ces gens avaient exploités ces infatigables travailleurs, des gens courageux qui défendaient leurs droits et restaient dignes en essayant de rendre leur coin d'espace un peu plus agréable. Mais l'avarice ne connaît pas de limites et sans retenue, elle dévore tout ce qui fait de nous des humains.
Alors que mon cargo s'éloignait de Bliss, laissant la périphérie derrière moi pour rejoindre le confort des colonies intérieures, j'essayais d'appréhender combien de cadavres de gens innocents étaient répartis dans les kilomètres cubes de silice transportés dans les soutes en-dessous de mon siège. Combien de ces gens qui voulaient rendre leur coin d'espace plus agréable ? Jusqu'à quel nombre de partie par million la silice « enrichie organiquement » par le sacrifice humain justifiait le profit pour BXR et nous tous ?
J'imaginais être pragmatique, une version humaine des IA dirigeant l'ONI, croyant que tout pouvait être pensé en coût contre bénéfice. Je ne pense pas penser ainsi à présent. Parce que ces morceaux de silice couvrant cette planète morte, prisonniers de l'atmosphère d'un monde détruit, faisaient horriblement mal lorsqu'ils vous fouettaient le visage. Et parce que l'isolation de mon appartement, achetée pour une bouchée de pain à une entreprise quelconque, un prix dérisoire permis par la perte de nombreuses vies dans les colonies extérieures, était remplie de ces même morceaux de verre. J'avais vu d'où ils provenaient, et cette silice enrichie organiquement brûlait toujours ma peau.
Le prix de notre liberté et de notre sécurité était lourd. L'ONI avait caché la vérité sous le tapis et avaient levé un coin pour faire bonne figure. Mais je n'avais plus peur.
Combien de personnes notre gouvernement avait tenu dans l'ombre ? Combien avaient été balayés et ignorés pour le profit ? À partir de combien était-ce trop ? Pour moi, la réponse était un.
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