Halo : Cryptum

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Halo Cryptum est le premier volet de La Trilogie Forerunner écrite par Greg bear. il est sorti à la vente le 04 janvier 2011. La sortie française est prévu pour le 18 novembre 2011 (éditions Milady). Halo : Cryptum est annoncé entre 6 et 8€ selon les revendeurs en France.


Résumé

Il y a 100 000 ans, la galaxie foisonnait d'espèces vivantes de toutes sortes.

Les Forerunners, dont les connaissances et la technologie devançaient toutes les autres de plusieurs éons, dominaient l'univers. Leur règne était pacifique même s'ils n'hésitaient pas à faire usage de la force imposer leur volonté.

Puis ils ont disparu.

Voici leur histoire.

Novelastre est un jeune Forerunner rebelle. Comme son père avant lui, il est destiné à devenir un Bâtisseur, la caste la plus prestigieuse de sa civilisation. Mais il est mû par d'autres ambitions.


Divers

Le titre de travail était à l'origine : «antédiluviens». Le mot antédiluvien, ou par définition : appartenant à la période antérieure d'une inondation (celle du déluge de la bible en l'occurence), est surtout une preuve que le roman aura lieu avant la guerre Forerunner contre Flood.


Chapitres 1 à 5 en Français

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Traduction par Sephiroth2501

Correction : Phoenixlechat

Note de traduction de l’IA : Les meilleures traductions tactiques impliquent une conversion automatique des termes et phrases immédiatement compréhensibles, y compris les expressions familières. Cette traduction a été réalisée selon ce mode de travail.


"La tranquillité est une guerre de l’extérieur et de l’intérieur"

  • La Bure, Cinquième Permutation du Nombre du Didacte
«

LA SAGA DES FORERUNNERS - l’histoire de mon peuple - a été racontée avec une telle grandeur et une telle idéalisation que je la reconnais à peine. Certains de ces idéaux sont tout de même vrais. Les Forerunners étaient plus sophistiqués que tous les autres empires et disposaient d’une puissance incommensurable. Notre écoumène1 recouvrait trois millions de mondes fertiles. Nous avons atteint les plus grandes connaissances en matière de technologie et de physique, du moins depuis le temps des Précurseurs qui, comme certains le prétendent, nous ont façonnés à leur image avant de la récompenser par leur souffle. On pourrait définir cette partie de l’histoire - la première sur trois - par des mots comme voyage, audace, trahison, et destin. Mon destin, le destin d’un Forerunner idiot qui a rejoint une nuit celui de deux humains et la longue ligne d’univers2 d’un grand chef militaire… cette nuit-là où je mis en marche les circonstances qui ont conduit à la vague finale de l’infection des Floods. Telle est l’histoire de ce récit, telle est la vérité.

»



Chapitre Un

SYSTÈME SOLAIRE - D’EDOM A ERDE-TYRENE


L’EQUIPAGE DU BATEAU éteignit les lumières, stoppa la machine à vapeur, et sortit la sirène2 de l’eau. Le tic-tac gargouillant s’éteignit dans une série de cliquetis et de tristes gémissements, ça ne fonctionnait pas aussi bien qu’avant.

A vingt kilomètres de là, le sommet du Cratère Djamonkin s’élevait à travers une brume bleu grisâtre, et les contours de son extrémité se coloraient d’or par le soleil couchant. Une lune brillante montait, étincelante et froide, derrière notre bateau. Le lac situé à l’intérieur du cratère ondulait autour de la coque de telle façon qu’aucune marée ni aucun vent n’avaient jamais déplacé d’eau. Sous la houle et les spirales, scintillants avec les reflets du soleil couchant et de la lune, de pâles merses se tordaient et frémissaient comme les lys dans l’étang de ma mère. Ces lys, cependant, n’étaient pas de simples fleurs passives, mais des krakens endormis qui grandissaient dans les hauts-fonds sur d’épaisses tiges. D’une longueur de dix mètres, leurs bords épais et musculeux étaient agrémentés de dents noires de la taille de mon avant-bras.

Nous naviguions dans une réserve fermée où les monstres se reproduisaient de manière naturelle. Ils recouvraient entièrement le fond du cratère inondé, se cachant juste sous la surface, défendant ardemment leur territoire. Seuls les bateaux émettant de la musique douce pour les apaiser pouvait espérer traverser ces eaux sans être molestés. Mais à présent, nos chansons ne semblaient plus avoir le même effet.

Le jeune humain que je connaissais sous le nom de Chakas traversa le pont, saisissant son chapeau en feuille de palmier, la tête tremblante. Nous étions côte à côte, regardant par-dessus le bastingage, observant les merses se contor-sionner et se tortiller. Chakas - bronzé, très mince, pratiquement chauve et totalement à l’opposé de l’image bestiale des humains que mes tuteurs avaient imprimée en moi - secoua la tête avec inquiétude.

On dirait qu’ils utilisent de nouvelles chansons, murmura-t-il. Nous devrions bouger avant qu’ils ne s’en rendent compte.

Je regardai l’équipage situé à la proue, engagé dans une conversation murmurée.

Vous m’avez assuré qu’ils étaient les meilleurs, lui rappelais-je.

Il me regarda de ses yeux d’onyx poli et balaya de la main l’épaisse masse de cheveux noirs qui s’était collée sur le dos de son cou. Ils étaient parfaitement coupés au carré.

Mon père connaît leurs pères.

Avez-vous confiance en votre père ? demandais-je.

Bien sûr, dit-il. Pas vous ?

Je n’ai pas vu mon vrai père depuis trois ans, répondis-je.

Cela vous rend-t-il triste ? me demanda le jeune humain.

C’est lui qui m’a envoyé ici. (J’indiquais le point brillant rougeâtre dans le ciel noir.) Pour m’apprendre la discipline.

Shh-shhaa !

Le Florien1, une variété d’homme plus petite de moitié par rapport à Chakas, galopa derrière nous les pieds nus et nous rejoignit. Je n’avais jamais vu une espèce d’un tel niveau d’intelligence avec autant de variétés différentes. Sa voix était douce et légère, et il exécutait des signes précis avec ses doigts. Dans son excitation, il parla trop rapidement pour que je puisse comprendre.

Chakas me traduisit : Il dit que vous devez enlever votre armure. Elle interfère avec les merses.

Tout d’abord, ce n’était pas une bonne suggestion. Les Forerunners de tous rangs portaient des armures d’assistance durant la plus grande partie de leur vie. L’armure nous protégeait physiquement et médicalement. En cas d’urgence, elle pouvait maintenir en vie un Forerunner jusqu’à son sauvetage et pouvait même le nourrir durant quelques temps. Elle permettait aux Forerunners adultes de se connecter au Domaine, là où se trouvait toute la connaissance des Forerunners. L’armure était l’une des principales raisons de la grande longévité des Fore-runners. Elle pouvait également agir comme un allié, et même comme un conseiller.

Je consultai mon auxiliaire, l’intelligence et la mémoire désincarnées de mon armure - un petit personnage bleuté au fond de mes pensées.

Cela a été prévu, me dit-elle. La présence d’autres champs électriques et magnétiques que ceux produits par la dynamique naturelle de la planète déclenchent chez ces organismes une rage effervescente. Voilà pourquoi le bateau fonctionne grâce à une primitive locomotive à vapeur.

Elle m’assura que l’armure n’avait aucune valeur pour les humains, et qu’elle pouvait se prémunir contre une mauvaise utilisation. Le reste de l’équipage me regardait avec intérêt. Je sentis que cela pouvait être un point sensible. Bien sûr, une fois enlevée, l’armure fonctionnerait au niveau d’énergie minimale. Par tous les Dieux, j’allais me retrouver nu, du moins presque. Je commençais presque à me convaincre que cela ne pouvait qu’améliorer cette aventure.

Le Florien se mit au travail en me tissant une paire de sandales en roseaux, habituellement utilisés pour colmater les fuites.

De tous les enfants de mon père, j’étais le plus incorrigible. Ce n’était pas en soi inhabituel ou même un signe de maladie. Souvent, les futurs Manipuleurs1 montraient précocement des signes de rébellion - comme une empreinte dans de la matière brute où la discipline avait été modelée et aiguisée.

J’avais même réussi à excéder la patience suffisante de mon père. Je refusais d’apprendre et de m’engager sur n’importe quel chemin convena-blement tracé pour les Forerunners : un entraînement intensif, l’octroiement de mon rang, la mutation vers ma prochaine forme, et finalement, l’adhésion à une triade naissante… où je m’élèverai au zénith de la maturité.

Rien de tout cela m’attirait. J’étais de loin plus intéressé par l’aventure et les trésors du passé. Une gloire historique brillait si intensément de mes yeux que le présent semblait vide.

Arrivé à la fin de ma sixième année, frustré par la force de mon obstination, mon père m’avait négocié à une autre famille dans une autre partie de la galaxie, bien loin du complexe Orion où les gens de mon peuple étaient nés.

Durant les trois dernières années, le système de huit planètes tournant autour d’une étoile jaune secondaire - particulièrement la quatrième, un monde désertique et rougeâtre appelé Edom - devint ma maison. On appelait cela l’exil. J’appelais cela une échappatoire. Je savais que mon destin était ailleurs.

Lorsque j’arrivai sur Edom, mon père de substitution suivit la tradition en équipant mon armure avec l’une de ses auxiliaires afin de me familiariser aux coutumes de ma nouvelle famille. Au début, je croyais que cette nouvelle auxiliaire serait le grand visage de mon endoctrinement - d’autres chaînes pour ma prison, résistantes et peu compatissantes. Mais elle démontra être quelque chose d’entièrement différent, différente de toutes les autres auxiliaires que j’avais expérimentées.

Durant mes longues périodes de tutorats et d’exercices enregistrés, elle étouffa ma rébellion grossière jusque dans ses origines, mais elle me montra aussi mon nouveau monde et ma nouvelle famille dans une clarté de raison impartiale.

Tu es un Bâtisseur1 envoyé ici vivre parmi les Mineurs, me dit-elle. Les Mineurs sont inférieurs aux Bâtisseurs, mais ils sont sensibles, fiers et forts. Les Mineurs connaissent les chemins bruts façonnés à l’intérieur des mondes. Respecte-les et ils te traiteront bien, apprends tout ce qu’ils savent, et retourne dans ta famille avec toute la discipline et l’habileté dont un Manipuleur a besoin pour avancer.

Après deux ans de service généralement impeccable, guidant ma réédu-cation tout en soulageant mon existence abrutissante avec une certaine ironie, elle en était venue à discerner un modèle dans mes questions. Sa réponse avait été inattendue.

Le premier signe de l’attitude étrange de mon auxiliaire fut lorsqu’elle ouvrit les archives de ma famille de substitution. Les auxiliaires étaient chargées de la maintenance de tous les rapports et de toutes les bibliothèques, facilitant ainsi l’accès pour un membre de la famille à toutes les informations dont il pouvait avoir besoin, même si celles-ci étaient anciennes et obscures.

Tu sais, les Mineurs creusent profondément. Les trésors, comme tu les appelles, se trouvent souvent sur leur chemin. Ils récupèrent, enregistrent, règlent les questions avec les autorités appropriées… et s’en vont. Ils ne sont pas curieux, mais leur rapports le sont vraiment parfois.

J’ai passé des heures plaisantes à étudier les vieux rapports, et à en apprendre davantage sur les vestiges des Précurseurs, tout comme l’archéologie sur l’histoire des Forerunners.

C’est là que j’ai amassé des indices sur des traditions désapprouvées ou oubliées de tous - pas toutes selon les faits actuels, mais elles en découlent de manière étrange. Dans l’année qui suivit, mon auxiliaire me cerna et m’estima.

Un jour sec et poussiéreux, alors que j’étais en train de grimper la pente douce du plus grand volcan d’Edom, imaginant que dans cette vaste caldera se cachait un quelconque grand secret qui me rachèterait aux yeux de ma famille et justifierait mon existence - mon état habituel de fugue injustifié - elle cassa le code des auxiliaires de manière brutale.

Elle m’avoua qu’une fois, mille ans auparavant, elle avait fait partie de l’escorte de la Bibliothécaire. Bien sûr, je savais qui était la plus grande de toutes les Biothéoriciennes. Je n’étais pas complètement ignorant. Le rang des Biothéoriciens - des experts dans le domaine de la vie organique et de la médecine - se situait sous les Bâtisseurs et les Mineurs, mais au-dessus des Soldats. Et le rang le plus élevé parmi les Biothéoriciens était les Faiseurs de Vie. La Bibliothécaire était justement l’un des trois Biothéoriciens jamais honorés par ce titre.

La mémoire de l’auxiliaire correspondant à l’époque vécue auprès de la Bibliothécaire avait prétendument été effacée lorsque la fondation de la Bibliothécaire l’avait vendue à ma famille de substitution, comme une partie d’un échange de culture générale. Mais à présent, son passé entièrement réveillé, elle semblait prête à conspirer avec moi.

Elle me dit : A quelques heures de voyage d’Edom, il y a un monde où tu pourras trouver tout ce que tu cherches. Il y a neuf mille ans, la Bibliothécaire a établi une station de recherche dans ce système. Cela reste toujours un sujet de discussion parmi les Mineurs, qu’ils nient bien évidemment. La vie est bien plus glissante que la roche et les gaz.

Cette station se trouvait sur la troisième planète du système solaire, elle était connue sous le nom d’Erde-Tyrene : un endroit abandonné, obscur, isolé, à la fois berceau et cercueil des survivants d’une espèce déclinante appelée humain.

Les intentions de mon auxiliaire paraissaient bien plus déviantes que les miennes. Tous les deux ou trois mois, un vaisseau décollait d’Edom afin d’apporter des provisions sur Erde-Tyrene. Elle ne m’avait pas précisément informé de ce que je trouverai là-bas, mais par un jeu d’allusions et d’indices, je compris que c’était important. Avec son aide, je trouvai mon chemin dans les couloirs labyrinthiques et les tunnels jusqu’à la plateforme de lancement, entrant clandestinement dans l’étroit vaisseau, redémarrant les codes afin de dissimuler ma masse supplémentaire - et décollai en direction d’Erde-Tyrene. J’étais maintenant beaucoup plus qu’un Manipuleur rebelle. J’étais devenu un pirate de l’air, un pirate… stupéfié de voir à quel point cela avait été facile ! Trop facile, peut-être.

Cependant, je ne pensais pas qu’une auxiliaire puisse mener un Forerunner dans un piège. Cela était contraire à sa programmation - tout ce qui composait sa nature. Les auxiliaires servaient fidèlement leur maître à tout instant.

Ce que je n’avais pas prévu, c’était que je n’étais pas son maître, que je ne l’avais jamais été.

Je démontai mon armure à contrecœur, déroulant la spirale dorsale, puis les protections des épaules et des bras, et finalement les protections des jambes et les bottes. Le mince duvet sur mes bras et mes jambes se hérissa sous la brise. Mon cou et mes oreilles furent soudainement pris de démangeaisons. Puis mon corps entier me démangea, ce que je me forçais d’ignorer.

L’armure conserva le moule vide de mon corps alors qu’elle tombait sur le sol. Je me demandai si l’auxiliaire s’était mise en fonction dormante, ou si elle continuait de fonctionner grâce à ses processeurs internes. C’était la première fois en trois ans que je me retrouvais sans son assistance.

- Bien, dit Chakas. L’équipage la gardera en sécurité pour vous.

J’en suis sûr, fis-je.

Chakas et le petit Florien - dans leurs propres langages, ils faisaient respectivement partis des peuples chamanune et hamanune - montèrent sur la proue, où ils rejoignirent les cinq membres d’équipage déjà là qui se disputaient dans des chuchotements. Si cela avait été plus fort, les merses auraient vraisemblablement pu attaquer le bateau, même si celui-ci chantonnait la bonne musique. Les merses détestaient beaucoup de chose, mais ils détestaient par-dessus tout le bruit excessif. Après les tempêtes, on disait qu’ils restaient enragés durant des jours, rendant la traversée du lac intérieur impossible.

Chakas se retourna en secouant la tête : Ils essaient de nouvelles chansons depuis déjà trois lunes, dit-il. Les merses inventent rarement de nouveaux airs. C’est une sorte de cycle.

Avec une brusque embardée, le bateau tourna sur l’axe de son mât. Je me baissai au niveau du pont, couché près de mon armure. J’avais bien payé les humains. Chakas avait entendu parler de contes étranges à propos d’antiques zones interdites et de structures secrètes dans le Cratère Djamonkin. Mes recherches parmi les archives des Mineurs n’avaient poussé à croire qu’il y avait une réelle chance pour qu’un vrai trésor puisse se trouver sur Erde-Tyrene, peut-être même le trésor le plus recherché d’entre tous, l’Organon - l’appareil capable de réactiver tous les artéfacts des Précurseurs. Tout semblait concorder - jusqu’à maintenant.

Où avais-je été mal guidé ?

Après un voyage de soixante années-lumière et un second insignifiant de cent millions de kilomètres, je n’avais jamais été aussi près de mon but ultime. Les merses brisèrent la surface du côté tribord, faisant jouer des éventails gris violets et libérèrent des rubans d’eau. Je pouvais entendre de longues dents noires ronger la coque en bois.

Le voyage d’Edom à Erde-Tyrene prit quarante-huit longues et ennuyeuses heures, une entrée dans le Sous-espace était considérée comme inutile pour un transport de provision sur une si courte distance.

Ma première vision de la planète, par le hublot ouvert du transporteur de provision, révéla un bijou rayonnant tel une orbe aux couleurs vertes, brunes et bleues. La plupart de l’hémisphère nord disparaissait sous les nuages et les glaces. La troisième planète se trouvait dans une période glacière intense où les banquises ne cessaient de grandir. Comparé à Edom, depuis longtemps sous son meilleur auspice, Erde-Tyrene était un paradis négligé.

Certainement inutile pour les humains. Je questionnai mon auxiliaire sur la vérité de leurs origines. Elle me répondit que, selon les meilleures recherches des Forerunners, les humains étaient effectivement natifs d’Erde-Tyrene avant d’étendre leur civilisation interstellaire le long du bras galactique durant cinquante mille ans, peut-être pour fuir rapidement le contrôle des Forerunners. Les rapports de ces âges anciens étaient clairsemés. Le vaisseau ravitailleur se posa sur la station de recherche principale au nord de Marontik, la plus grande communauté humaine. La station était automatisée et vide, mais pas pour une famille de lémurs, qui avait élu résidence dans ces baraquements depuis longtemps abandonnés. Apparemment, le reste de la civilisation avait oublié cet endroit. J’étais le seul Forerunner sur la planète, et cela me convenait parfaitement.

Je me mis à marcher à travers le dernier lieu d’herbage et de prairie, et j’arrivai à midi sur les abords d’une ville où les ordures s’entassaient.

Marontik, située à la confluence de deux grands fleuves, était à peine une ville selon les standards Forerunner. Des cabanes en bois et des huttes en terre, dont certaines avec trois ou quatre étages, étaient arrangées de chaque côté des rues qui s’embranchaient les unes dans les autres et s’enroulaient sans aucune disposition particulière. Cet agglutinement ramassé de taudis primitifs s’étalait sur plusieurs douzaines de kilomètres carrés. Il était facile pour un jeune Forerunner de se perdre, mais mon auxiliaire me guida avec une habileté déconcertante.

J’errai dans les rues pendant des heures, une pointe de curiosité pour les habitants, sans plus. Je franchis une porte qui s’ouvrait sur des passages souterrains d’où remontaient des odeurs nocives. Des enfants des rues en haillons arrivèrent à travers la porte et m’encerclèrent en chantant : Certains lieux de Marontik n’appartiennent qu’aux yeux de certains… La mort observe ! Les rois et reines antiques préservés dans le rhum et le miel ! Ils vous ont attendus durant des siècles ! Bien que cela me procura un vague picotement, j’ignorai les enfants. Ils partirent au bout d’un moment et jamais je m’étais senti en danger. Il me semblait que ces êtres humains traînant des pieds, négligés et grossièrement habillés, avaient un peu d’expérience avec les Forerunners, mais presque aucun respect. Cela ne semblait pas déranger mon auxiliaire. Ici, disait-elle, les impressionnantes règles génétiques de la Bibliothécaire incluaient la docilité envers les Forerunners, la prudence envers les étrangers, et la discrétion pour tout le reste.

Le ciel au-dessus de Marontik était peuplé de dirigeables primitifs de toutes tailles et de toutes couleurs, certains affreux de par leur prétention - des douzaines de montgolfières rouges, vertes et bleues, étaient accrochées ensemble par des cordages, et entre lesquelles étaient disposées de grandes plateformes en roseau tissé où s’entassaient des voyageurs et des spectateurs aussi bien que des animaux inférieurs destinés, je le présumais, à l’alimentation. Les humains mangeaient de la viande.

Les plateformes des ballons donnaient ce sentiment habituel du mal des transports - ainsi, mon auxiliaire n’invita à payer le passage pour le centre ville. Lorsque je lui signalai que je ne possédais pas d’actions, elle me guida dans une cache dissimulée dans un transformateur électrique vieux de plusieurs centaines d’années et toujours intact. J’attendis un él évateur et payai ma place à un agent sceptique qui regarda la vieille action avec dédain. Son visage était étroit et long, et ses yeux de fouine éclipsés par un grand chapeau cylindrique en fourrure. Ce n’est qu’après avoir bavardé avec un collègue caché dans une cabine en osier qu’il accepta mon paiement, et me permit de monter dans le transporteur suivant qui grinçait, se balançait et était plus léger que l’air.

Le voyage dura une heure. La plateforme de ballons arriva en centre-ville à la nuit levée. Des lanternes étaient allumées dans toutes les rues tortueuses. Les longues ombres apparaissaient indistinctement. J’étais entouré d’odeurs rances anthropoïdes.

Dans le plus grand marché de Marontik, mon auxiliaire m’informa que, des années auparavant, avait existé un collectif de guides humains, dont certains pouvaient toujours connaître les chemins vers les lieux des légendes locales. Bientôt, les humains seraient tous endormis - une notion avec laquelle j’étais peu familière - nous devions donc faire vite.

Si c’est l’aventure que tu cherches, dit-elle, voici l’endroit où il sera le plus probable de la trouver - encore plus que de survivre à cette expérience. Dans un carrefour à plusieurs rues, qui servaient plus de passages à piétons et de caniveaux, je trouvai la devanture en pierre fluviale de l’agence des guides. A demi cachée dans les ombres, éclairée par une simple bougie qui pendait à un crochet dans le clayonnage, une femme, énormément grasse dans un peignoir blanc desserré et honteusement fin, me considéra avec un soupçon non dissimulé.

Après m’avoir fait quelques offres que je trouvais offensantes, y compris un tour dans les profondes catacombes remplies de morts humains, elle prit la dernière de mes actions et me fit passer une arche fermée par un chiffon avant de me présenter à un jeune membre de la guilde qui, selon elle, pouvait m’aider.

Il y a un trésor sur Erde-Tyrene, jeune Forerunner, ajouta-t-elle d’une voix de baryton suave, comme vous l’avez sans doute déduit de vos minutieuses recherches. Et j’ai justement l’homme qu’il vous faut. C’est ici, dans les ombres humides d’une cabane en roseau que j’ai rencontré Chakas. Ma première impression envers cet humain bronzé, maigrelet et à moitié nu avec sa masse de cheveux noirs graisseux, n’était pas favorable. Il ne cessait de me regarder comme si nous nous étions déjà rencontrés - ou peut-être cherchait-il un point faible dans mon armure.

- J’aime résoudre les mystères, me dit Chakas. Moi aussi, je cherche des trésors perdus. C’est ma passion ! On va être amis, pas vrai ?

Je savais que les humains, en tant qu’êtres inférieurs, étaient trompeurs et sournois. Cependant, je n’avais pas vraiment le choix. Mes ressources avaient atteint leurs limites. Quelques heures plus tard, il m’amena à quelques pâtés de maisons dans des rues noires comme le charbon remplies de hamanune, et me présenta à son associé, un Florien à la gueule grisée. Entouré d’une foule de jeunes plus petits et de deux vieilles femmes voûtées - selon moi, le Florien avait les joues bourrées des restes d’un plat de fruits et d’assiettes de viande crue, martelée et difforme.

Le Florien affirma que ces ancêtres avaient une jour débarqué sur une île circulaire au centre d’un grand cratère inondé. Ils l’appelaient le Djamonkin Augh - L’Eau du Grand Homme. Là, dit-il, un merveilleux site cachait encore de nombreuses antiquités.

Des Précurseurs ? lui demandais-je.

Qui sont-ils ?

D’anciens maîtres, répondis-je. Avant les Forerunners.

Peut-être. Elles sont très anciennes.

Le Florien me parcourra malicieusement du regard, puis frappa ses lèvres avec le dos poilu de sa main.

L’Organon ? demandais-je.

Ce nom n’était familier ni pour Chakas ni pour le Florien, mais je n’excluais pas cette possibilité.

L’équipage se sépara et ouvrit le panneau de l’orgue à vapeur. L’hamanune, dont la tête arrivait à peine au niveau de ma taille, agita les mains en l’air. Avec l’aide de ses petits doigts agiles, ils insérèrent un autre jeu de pièces en bois avec de minuscules chevilles, puis réinitialisèrent le mécanisme de cordes courbes et pincées, balancèrent à l’eau la sirène qui émettait la musique, attachèrent le tube à vapeur, et remontèrent le ressort qui faisait fonctionner le tout. Chakas se dirigea vers l’arrière, toujours inquiet.

La musique apaise les fleurs sauvages, dit le chamanune, un doigt calleux sur les lèvres.

Maintenant on attend et on regarde.

Le Florien revint en courant et s’accroupit auprès de nous. Il noua une main autour des chevilles nues de son ami. Le crâne du petit homme faisait à peu près un tiers du volume de celui du jeune Chakas, et il m’était pourtant difficile de dire qui était le plus intelligent - ou le plus honnête. Dans ma quête au trésor, j’avais centré mes études sur les vieilles archives Forerunners, et le peu que j’avais appris sur l’histoire des hommes ne correspondait pas vraiment à l’image que me renvoyaient mes guides.

Il y a dix mille ans, les humains s’étaient battus contre les Forerunners, et ils avaient perdu. Les centres de la civilisation humaine avaient été démantelés et les humains se résilièrent eux-mêmes et se séparèrent en différentes espèces, certains voyant cela comme une punition - certainement la majorité en fait, car c’était une espèce naturellement violente.

La Bibliothécaire, pour une quelconque raison, avait soutenu la cause humaine. Mon auxiliaire m’expliqua que cela avait été comme une sorte de pénitence ou, à le demande de la Bibliothécaire - les rapports restaient vagues - le Conseil l’avait chargé de s’occuper d’Erde-Tyrene et elle y avait déplacé les derniers humains. Sous sa protection, certains humains avaient subitement réévolués. Il m’était impossible de dire si cela pouvait être vrai ou non. Ils me paraissaient tous dégénérés.

De ce stock de graines, plus de neuf mille ans plus tard, plus d’une vingtaine de variétés d’humains avaient migré et avaient formé des communautés à travers ce monde imbibé d’eau. Les k’tamanune, des hommes forts à la peau brune et ocre, avaient erré dans les latitudes septentrionales et contournèrent les épaisses couches de glace grinçantes. Ces autochtones, vivant dans l’ombre des glaces, s’enveloppèrent dans de résistantes fibres tissées et de la fourrure. Non loin de ce lac à l’intérieur du cratère, dans une imposante chaîne de montagnes, les maigrelets b’ashamanune gambadaient à travers les prairies équatoriales et sautaient dans des arbres épineux afin d’échapper aux prédateurs. Certains voulurent construire des villes rudimentaires, comme s’ils espéraient reconquérir une grandeur passée avant d’abandonner misérablement. A cause de nos fortes ressemblances naturelles au niveau génétique, certains sages Forerunners pensaient que les humains pouvaient être considérés comme des frères, également nés du souffle donné par les Précurseurs. Il était tout à fait possible que la Bibliothécaire avait pour but d’étudier ces théories.

Très bientôt, évolués ou pas, il pourrait y avoir sept autres humains dans la collection de la Bibliothécaire, et au moins un Forerunner.

Nous étions assis près de l’endroit le plus large du pont, loin du bastingage détruit. Chakas forma un berceau avec ses doigts avant de le faire changer de forme dans un exercice qu’il refusait catégoriquement de m’enseigner. Son sourire désabusé était le même que celui d’un enfant Forerunner. Le petit Florien nous observait avec amusement.

Les merses émirent un horrible et assourdissant sifflement et firent gicler des volutes d’eau. Leurs embruns avaient une odeur d’algue pourrie. Vu de loin, les créatures qui encerclaient notre bateau étaient ridiculement simples, un peu plus évoluées que les espèces de gelées à crête qui nageaient dans les murs vitreux du palace de mon père de substitution sur ce point rougeâtre distant de cent millions de kilomètres. Et pourtant, ils chantaient les uns les autres, parlant en de doux murmures musicaux durant de longues nuits avant de se réchauffer en silence au soleil en faisant semblant de dormir.

En de rares occasions, la mer du cratère était troublée par de brèves guerres entre merses, et des lambeaux de chairs se desséchaient pendant des semaines sur les côtes lointaines…

Peut-être y avait-il plus que ces krakens aveugles vus par un Manipuleur. La Bibliothécaire avait pu avoir la main mise sur leur introduction sur Erde-Tyrene - les faire grandir dans le Cratère Djamonkin, là où ils pouvaient servir ses fins, peut-être pour résoudre les énigmes biologiques liées à leur étrange façon de vivre, l’utilisation de leurs propres chansons génétiques…

Étais-je en train d’imaginer cela, ou bien les grincements du dessous et les secousses alentours semblaient s’estomper ? La lune se couchait. Les étoiles étaient encore lumineuses pour l’instant. C’est alors que le brouillard roula par l’arrière du bateau, remplissant d’un rivage à l’autre le cercle formé par le cratère .

Chakas prétendit entendre le doux bruit des vagues sur la plage.

- Je pense que les merses se sont calmés, ajouta-t-il avec bon espoir.

Je me levai afin de récupérer mon armure, mais un homme volumineux au regard étrange arrêta mon geste. Chakas secoua la tête. L’équipage décida qu’il était peut-être temps d’arrêter de dériver et de mettre en marche le moteur. Nous allions enfin pouvoir progresser. Il m’était difficile de voir plus loin que le bastingage, si ce n’était de petites explosions phosphorescentes. L’eau, du peu que je pouvais voir, paraissait calme.

Chakas et le Florien murmurèrent des prières humaines. Le Florien acheva les siennes par une courte mélodie, douce comme le chant des oiseaux. Si j’avais été attentif à mon éducation, j’aurais même pu méditer les préceptes de la Bure, répétant silencieusement les Douze Lois de la Composition et du Déplacement, autorisant mes muscles à se mouvoir selon ces rythmes jusqu’à me balancer comme un jeune arbre…

Mais à ce moment-là, en poursuivant de faux espoirs, j’étais comme déshonoré et faible… Et je pouvais encore nager dans une mer dangereuse, mon enveloppe charnelle déchiquetée par des monstres sans cervelle.

Ou bien marcher sur la plage déserte entourant une île sacrée au milieu d’un vieux cratère d’astéroïde, inondé d’une eau si pure depuis tant d’années qu’elle séchait sans laisser de résidus.

Des défis, des mystères, des dangers effrénés et la beauté. Tout cela en valait la peine, quelle que soit la honte que je puisse endosser.

En tant que Manipuleur, je ressemblais plus à Chakas qu’à mon père. Je pouvais toujours en rire, mais cette pensée me dépassait. Malgré tout, dans mes pensées, je ne pouvais pas m’empêcher de me voir plus grand, plus large, plus fort… comme mon père, avec son long visage pâle, sa couronne de cheveux et sa nuque à la pilosité blanchâtre et aux racines couleurs lilas, à ses doigts capables d’entourer un melon… et suffisamment forts pour briser la peau et libérer la pulpe.

J’étais en pleine contradiction : je doutais de tout au sujet de ma famille et de mon peuple, rêvant toujours de la mutation vers une forme secondaire - tout en préservant mon attitude jeune et indépendante. Bien sûr, cela n’arriverait jamais.

Le pilote marcha à grands pas vers la poupe avec une confiance renouvelée.

Les merses nous prennent pour l’un des leurs. Nous devrions atteindre l’île dans moins d’un nœud.

Les humains comptaient le temps en utilisant des mèches de cire liées par des nœuds qui s’enflammaient lorsqu’une flamme montante les atteignait. Même maintenant, deux des membres d’équipage s’éclairaient à la lanterne grâce à de simples bâtons.

Dans le brouillard, quelque chose de grand heurta la proue. Dans l’embardée, je me rattrapai de justesse, oscillant légèrement vers l’arrière. Chakas sauta sur ses pieds, un large sourire sur les lèvres.

Voici notre plage, dit-il.

L’équipage sauta par-dessus le bord sur le sable noir. Le Florien fut le premier à gagner terre, dansant sur la plage en claquant des doigts.

Shhh ! l’avertit Chakas.

Une fois encore, j’essayai de récupérer mon armure, mais l’homme volumineux m’en empêcha une nouvelle fois. Deux autres s’approchèrent lentement, les mains en avant, me poussant vers Chakas. Il haussa les épaules en voyant mon inquiétude.

Ils craignent que, même depuis la plage, cela ne perturbe les merses.

Je n’avais pas vraiment le choix. Ils étaient capables de me tuer sur le champ, ou je pouvais tout aussi bien mourir plus tard dans d’autres circonstances. Nous grimpâmes en haut de la plage à travers le brouillard. L’équipage resta sur le bateau - mon armure aussi.

Aussitôt que nous débarquâmes, le bateau retourna sur l’eau en se balançant, nous laissant dans la bruine et l’obscurité avec rien d’autre que trois petits sacs de provisions - uniquement de la nourriture humaine, quoique comestible si je me fiais à mon odorat.

Ils reviendront dans trois jours, dit Chakas. C’est bien assez de temps pour fouiller l’île.

Lorsque le bateau partit et que nous n’entendîmes plus la pompe souffler sa chanson, le Florien dansa avec plus d’entrain. Il était clair qu’il s’extasiait de marcher à nouveau sur l’île circulaire de Djamonkin Augh.

L’île cache tout ! dit-il d’un puissant rire roulé en pointant du doigt Chakas. L’enfant ne sait rien. Cherchez le trésor et mourrez, à moins que vous ne suiviez mes pas.

Le Florien fit ressortir ses lèvres expressives de couleur rose et leva ses mains au-dessus de sa tête, tournant le pouce et l’index.

Chakas paraissait imperturbable face à l’avertissement du Florien.

Il a raison. Je ne connais rien de cet endroit.

J’étais trop soulagé d’avoir réchappé aux merses pour ressentir le moindre malaise. J’étais sûr de ne pouvoir faire confiance à un humain ; ils n’étaient que formes décrépies, aucun doute là-dessus. Mais quelque chose de vraiment étrange se dégageait de cette plage… mes espoirs refusaient de décliner.

Nous marchâmes quelques mètres dans l’île avant de s’asseoir sur un rocher, tremblant dans l’humidité et le froid.

D’abord, dites-nous pourquoi vous êtes réellement ici, dit Chakas. Parlez-nous des Forerunners et des Précurseurs.

Dans l’obscurité, je ne pouvais rien voir au-dessus des palmiers et au-delà de la plage, rien à part le faible rougeoiement des vaguelettes qui se brisaient.

Les Précurseurs sont puissance. Ils ont tracés des lignes à travers de nombreux cieux. Certains disent qu’il y a longtemps, ils ont façonné les Forerunners à leur image. Même le nom que nous nous étions donnés, « Forerunner », impliquait un passage fugace et temporaire dans la Bure - acceptant le fait que nous n’étions qu’une étape dans le chemin de la Ligne de Vie. D’autres viendraient après nous. D’autres, peut-être meilleurs que nous.

Et nous ? demanda le Florien. Les hamanune et les chamanune ?

Je secouai la tête, peu enclin à poursuivre cette histoire - ou du moins à la croire.

Je suis ici pour découvrir pourquoi les Précurseurs sont partis. Comment nous aurions pu les offenser… et pour trouver le centre de leur pouvoir, de leur force et de leur intelligence.

Oh, fit Chakas. Vous êtes ici pour trouver un grand cadeau qui plaira à votre père ?

Je suis ici pour apprendre.

Quelque chose qui puisse lui prouver que vous n’êtes pas un imbécile, hum.

Chakas ouvrit son sac et distribua les petits rouleaux de pain noir épais fait à partir d’huile de poisson. Je mangeai sans rien aimer. Durant toute ma vie, les autres m’avaient considéré comme un imbécile, mais cela me faisait mal de constater que des animaux inférieurs en arrivaient à la même conclusion.

Je donnai un petit coup de pied dans un caillou vers l’obscurité.

Quand commencerons-nous à chercher ?

Trop sombre. On commence d’abord par le feu, insista le Florien.

Nous ramassâmes des branches et des morceaux de palmier à moitié délabrés afin de faire un feu. Chakas semblait s’assoupir. Il se réveilla et me sourit. Il bailla, s’étira et regarda vers l’océan.

Les Forerunners ne dorment jamais, observais-je.

C’était vrai, tant que nous portions nos armures.

La nuit va vous paraître longue, non ? demanda le Florien.

Il roula son pain d’huile de foie de morue en petites boules rondes et les plaça en plusieurs lignes avec minutie sur un rocher noir et lisse. Puis il les prit un à un en les pinçant sur le dessus et les plaça dans sa bouche, claquant ses larges lèvres.

C’est meilleur comme ça ? demandais-je.

Il fit une grimace.

Le pain de poisson pue, répondit-il. La farine de fruit est meilleure.

Le brouillard se leva mais recouvrait toujours le dessus du cratère. L’aube n’était pas loin. J’étais couché sur le dos, regardant le ciel grisé, en paix pour la première fois d’après ce que je pouvais m’en souvenir. J’étais un imbécile, j’avais trahi mon Maniple, mais j’étais en paix. Je faisais ce que j’avais toujours rêvé de faire.

Daowa-maad, dis-je.

Les deux humains levèrent les sourcils - ce qui les faisait ressembler à des frères. Daowa-maad était un terme humain désignant les variances et les turbulences de l’univers. On pouvait en fait le traduire dans le langage des Bâtisseurs Forerunners par : « On tombe lorsque nos tensions nous brisent. » Vous connaissez ce terme ? m’interrogea Chakas.

Mon auxiliaire me l’a appris.

C’est la voix qui parle dans ses vêtements, fit Chakas au Florien d’une voix maligne. Une femme.

Est-elle jolie ? demanda le petit homme.

Elle n’est pas votre genre, lui répondis-je.

Le Florien finit la dernière boule de pain à l’huile de fois de morue et fit une autre remarquable grimace. Tous ses muscles semblaient s’exprimer. Daowa-maad. Nous chassons, nous grandissons, nous vivons. La vie est simple - tout comme nous. (Il donna un coup à Chakas.) Je commence à l’aimer, ce Forerunner. Dis-lui tout sur mes noms.

Chakas prit une grande respiration.

Le hamanune assis à côté de vous, dont le souffle a l’odeur d’huile de poisson et de pain rassis, a pour nom de famille Chasseur-de-jour. Son prénom est Chevaucheur de l’Aube. Son nom entier est Chasseur-de jour Longs Sentiers Battus Chevaucheur de l’Aube. Un long nom pour un petit homme. Il préfère qu’on l’appelle Chevaucheur. Voilà. C’est tout.

Tout est entièrement vrai, fit Chevaucheur, satisfait. Mes grands-pères ont construit ici même des murs pour nous protéger et nous guider.

On verra cela après le lever du soleil. Maintenant, trop sombre. Le bon moment pour apprendre les noms. Quel est votre vrai nom, jeune Forerunner ?

Pour un Forerunner, révéler son nom actuel à une personne de l’extérieur du Maniple… à des humains, qui plus est… Parfait. Un parfait coup d’estoc porté à ma famille.

Naissance Stellaire, dis-je. Naissance Stellaire à l’Eternelle Prospérité, Forme Zéro, apprenti Manipuleur.

A tes souhaits, fit Chevaucheur.

Il ouvrit grands ses yeux, se pencha en avant, et marqua un large sourire qui indiquait le grand amusement du Florien.

Mais ça sonne plutôt bien.

Je me penchais en arrière. J’étais de plus en plus familier à ce langage rudimentaire.

Ma mère m’appelle Born1, dis-je.

Plus c’est court, mieux c’est, affirma Chevaucheur. Born, c’est parfait.

L’aube arrive. La lumière et la chaleur aussi, fit Chakas.

Brouillez et traînez des pieds. Personne ne doit trouver nos traces.

Je soupçonnais que, si une personne d’Edom me recherchait, où si les sbires de la Bibliothécaire décidaient de vérifier depuis l’orbite à l’aide d’un drone ou depuis un appareil volant, ils finiraient par nous retrouver peu importe la manière dont nous cacherions nos traces. Cependant, je décidai de ne rien dire à mes compagnons. Je n’étais sur Erde-Tyrene que depuis peu de temps, mais j’avais appris une chose importante : se retrouver parmi le faible, l’opprimé et le brave idiot désespéré devait se savourer.

J’avais l’air ridicule, mais apparemment, mes deux compagnons me pensaient certainement courageux à présent.

Nous balayâmes nos traces en utilisant une feuille de palmier trouvée dans la végétation du littoral.

A quelle distance sommes-nous du centre de l’île ? demandais-je.

Avec de longues jambes, le chemin est plus court, fit Chevaucheur. Il y a des fruits tout au long du chemin. N’en mangez pas. Ça ne vous plairez pas. Gardez-les moi. Ça se passera bien, me confia Chakas. S’il ne nous perd pas.

Nous allons vers la montagne, affirma Chevaucheur. (Il s’enfonça dans la végétation.) Pas besoin de traverser le lac intérieur. Un labyrinthe, un peu de brouillard, une spirale, et un saut ou deux. Mon grand-père avait l’habitude de vivre ici avant, quand il y avait de l’eau.

De plus en plus curieux. Je savais avec certitude - une fois encore grâce à mon auxiliaire - que le cratère était inondé et que le lac contenait des merses depuis mille ans.

Quel âge avec-vous ? demandais-je.

Chevaucheur me répondit : Deux cent ans.

Pour les siens, il est encore jeune, me dit Chakas en faisant claquer sa langue et ses joues. De petits êtres à la grande longévité, et à la mémoire encore plus grande.

Le Florien maugréa : Ma famille a grandi dans des îles un peu partout. Nous avons fabriqué des murs. Ma mère est venue ici avant de rencontrer mon père, et elle lui parla, comme il le fit avec moi, des chansons à clic et de la sirène qui apaise. C’est pourquoi nous connaissons ce labyrinthe.

Les chansons à clic ?

Tu es un privilégié, affirma Chakas. Les hamanune ne révèlent pas souvent leurs secrets aux étrangers.

S’ils sont vrais, fis-je.

Ce n’était en aucun cas une offense. Les humains que j’avais rencontrés semblaient particulièrement résistants. Plus probable, les déclarations d’un Forerunner ne signifiaient pas grand-chose sur un monde qu’ils considéraient comme le leur.

La lumière du jour arriva finalement très rapidement. Le ciel passa de l’orange sanguine au bleu en quelques minutes. Aucun son ne venait de la petite jungle, pas même le bruissement des feuilles.

J’avais parcouru quelques îles durant ma courte existence, mais je n’en avais jamais connu une aussi silencieuse qu’un tombeau.


Chapitre DEUX

JE SUIVIS L’ALLURE rapide et soutenue du petit homme à travers les basses broussailles, passant devant de nombreux troncs de palmiers nus et écailleux dont le sommet se composait de couronnes de branches hérissées. Le sous-bois n’était pas dense, mais très régulier - trop régulier. Dans le pire des cas, les sentiers étaient invisibles à mes yeux.

Chakas nous suivait à quelques pas derrière moi, un perpétuel sourire léger sur les lèvres, comme s’il se préparait à lâcher une plaisanterie sur nous deux. Je ne savais pas encore très bien déchiffrer les expressions humaines. Un sourire pouvait signifier un léger amusement. Cela pouvait tout aussi bien être un prélude à une agression.

L’air était humide, le soleil haut, et notre eau - contenue dans des tubes faits à partir d’une sorte d’épaisse tige d’herbe - était également chaude. C’était une marche harassante. L’hamanune fit circuler l’un des derniers tubes. Les Forerunners ne pouvaient pas attraper de maladies humaines - ni aucune autre tant qu’ils portaient leurs armures - mais ce fut à contrecœur que j’acceptai de partager le liquide chaud.

Ma bonne humeur s’effaça. Quelque chose d’étrange et d’inattendu se trouvait dans l’air… Sans mon armure, je découvris des instincts auxquels j’ignorais pouvoir faire confiance. D’anciens dons, de vieilles sensibilités, cachés jusqu’à ce jour par la technologie.

Nous fîmes une pause. Le Florien remarqua mon irritation croissante.

Prends ça, dit-il à Chakas en agitant ses doigts. Le Forerunner a les cheveux comme le verre. Un coup de soleil sur la tête.

Chakas leva la tête, protégea ses yeux puis inclina à nouveau la tête. Il me jeta un rapide coup d’œil et examina ma tête avant de grimper au sommet d’un tronc nu. A mi-chemin, il décortiqua une branche et la vida. L’autre petit homme paraissait content.

Je regardais Chakas finir son ascension d’escargot. Au sommet, il tira un couteau de sa ceinture et tailla grossièrement une branche verte avant de la laisser tomber. Il rebroussa chemin, sauta la dernière moitié et atterrit en pliant les jambes et en agitant ses grands bras. Dans un mouvement de triomphe, il leva la main sur sa bouche et murmura un son musical.

Nous fîmes une pause à l’ombre de l’arbre duquel il avait tissé la protection pour ma tête. Les Forerunners aimaient beaucoup les chapeaux - tous les Forerunners de chaque forme et de chaque forme ainsi que les Maniple avaient leurs propres chapeaux cérémoniaux au design particulier portés qu’en de spéciales occasions. Cependant, durant une journée de la Saison de la Grande Etoile, tout le monde portait le même type de couvre-chef. Nos chapeaux étaient bien plus empreints de dignité et de beauté que celui que Chakas m’avait finalement fabriqué. Je le plaçai tout de même sur ma tête et constatai qu’il m’allait parfaitement. Chakas mit ses mains sur ses hanches et m’examina avec un regard critique.

Parfait, finit-il par dire.

Nous continuâmes de marcher pendant quatre heures jusqu’à ce que nous arrivions au pied d’un mur bas formé de pierres de lave parfaitement coupées. Le mur se dressait entre les arbres. Du dessus, il décrivait une courbe sinueuse telle un serpent rampant à travers la jungle.

Chevaucheur s’assit sur le mur, croisa ses jambes et mâcha une lame verte qui dépassait de son chapeau. Il tournait lentement la tête, roulait ses grands yeux marrons de gauche à droite et faisait ressortir ses lèvres. Le hamanune ne possédait pas de menton - rien de cette caractéristique proéminente qui accusait la ressemblance entre Chakas et ma race. Mais le petit homme compensait plus que cela avec d’élégantes lèvres mobiles.

Ce sont les ancêtres qui l’ont fait, plus anciens que les grands-parents, fit-il en tapotant les pierres. (Il balança le lambeau verdâtre sur le côté, puis se mit debout en équilibre sur le mur, les bras tendus de chaque côté.) Suivez-moi. Seuls les hamanune peuvent marcher dessus.

Chevaucheur se mit à courir sur le sommet du mur. Chakas et moi le suivîmes à côté, poussant sur le côté les broussailles et évitant les quelques crustacés de mer qui se combattaient sur terre contre personne en agitant leurs puissantes pinces. Je faillis marcher sur certains d’entre eux… jusqu’à me souvenir que je ne portais pas mon armure. Ces pinces pouvaient emporter une partie de mon pied. J’étais vulnérable face à tout ! L’excitation de l’aventure commençait à se faire moins grande. Les deux humains n’avaient encore rien fait de menaçant, mais combien de temps cela allait-il durer ?

Il nous était difficile de suivre la cadence du petit Florien.

A quelques centaines de mètre plus loin, le mur marqua un embran-chement. Chevaucheur s’arrêta à la jonction, étudiant la situation. Il balança son bras droit. La course reprit. A travers les épais troncs sur notre gauche, je voyais la plage. Nous traversions l’île annulaire. Par-delà apparaissait le sommet central entouré par le lac intérieur de l’île annulaire, le tout formant une cible dans le cratère. Je me demandais si des merses vivaient également dans ces eaux-ci.

Mon esprit vagabondait. Peut-être qu’un ancien et puissant vaisseau Précurseur s’était écrasé depuis l’espace, et que le sommet central soit un effet dû aux vagues de roches fondues jaillissant vers l’intérieur avant de se solidifier. A ce moment, j’aurais voulu avoir été plus attentif aux récits de mon père de substitution sur la manière dont les planètes se formaient et changeaient, mais je n’avais pas la fascination de ce Mineur pour la géologie, sauf si cela pouvait dissimuler ou dévoiler un trésor.

Certains artéfacts Précurseurs étaient suffisamment anciens pour s’intégrer aux cycles à travers les centaines de millions d’années, s’enfonçant plus profon-dément avec la croûte et remontant à la surface par les volcans ou les vents. Indestructibles… Fascinant. Et pour le moment, inutile.

Chakas fut assez courageux pour me pousser. Je tressaillis de tout mon corps.

Vous n’auriez jamais fait cela si j’avais toujours eu mon armure, dis-je.

Ses dents brillèrent. Devenait-il agressif, ou bien était-ce juste une marque d’affection ? Je n’avais aucun moyen de le savoir.

Par ici, nous interpella Chevaucheur depuis sa position loin devant.

Nous passâmes à travers une région particulièrement dense d’arbres verts et fins aux troncs et aux branches rouge vif. Le Florien nous attendait à l’endroit où le long mur s’arrêtait brutalement. Au-delà se trouvait une plaine plate et blanche, d’un côté le lac avec sa plage qui formait une ligne noire et grise, et de l’autre, la jungle. A nouveau, le sommet central était visible, parfaitement nu de végétation, tel un pouce noir et mort agressant le pâle centre bleu verdâtre de la cible. Très bien, jeune Forerunner, dit Chakas arrivant à ma hauteur par derrière.

Je me retournai rapidement, croyant un instant qu’il était sur le point de me poignarder. Ce n’était pas le cas - l’homme bronzé pointait du doigt la plaine blanche désolée.

Vous avez demandé. Nous vous avons amené ici. Votre faute, pas la nôtre. Rappelez-vous de cela.

Il n’y a rien ici, dis-je en regardant la plaine.

De chaudes vagues cassaient le lointain contour de la désolation dans de lancinants chatoiements.

Regardez encore, me suggéra Chevaucheur.

A la base des miroitements, quelque chose qui ressemblait plus à de l’eau était en fait le ciel réfracté. Mais à travers les miroitements, je crus voir une file de grands singes balourds… de grands singes blancs ayant certainement peu d’importance dans la folie de la Bibliothécaire. Ils apparurent et disparurent avec le mirage - ils étaient là, sans vie mais gelés : taillés dans la pierre et siégeant sur la plaine comme les pièces d’un jeu de société.

Un vent frais chuchota depuis l’extérieur du sommet noir, chassant la chaleur naissante et les figures de singes disparurent.

Ce n’était pas un mirage, après tout. Mais quelque chose de plus trompeur.

Je me baissai afin d’arracher une poignée du sol. Du corail et du sable blanc mélangés avec de la fine et dense cendre volcanique. Ce lieu entier avait la senteur de l’ancien feu.

Je regardai mes deux guides humains, silencieux.

On y va, suggéra Chevaucheur.

Le chemin qui menait au centre de la désolation blanchâtre fut plus long que je ne l’imaginais, mais très rapidement je compris que nous traversions un champ déformateur1 - un lieu protégé par des distorsions géométriques - ou du moins un champ chimérique2, protégé par des illusions.

Un Forerunner avait apparemment décidé il y a longtemps, que la plaine devait rester cachée de regards trop curieux. Je couvris mes yeux et levai la tête vers la toile bleutée du ciel. Cela voulait dire qu’on ne pouvait probablement pas la voir depuis le ciel non plus.

Les minutes devinrent une heure. Nous ne pouvions suivre une ligne droite. Nous décrivions très probablement des cercles. Mais nous continuâmes tout de même. Mes pieds, chaussés dans des sandales humaines inadaptées, trainaient légèrement. Des grains aiguisés écorchaient mes semelles et s’enfonçaient entre mes orteils. Les deux humains démontraient une grande patience et ne se plaignaient pas. Chakas mit le hamanune sur ses épaules quand il devint évident que ses petits pieds nus souffraient du sable chaud.

Le dernier de nos tubes d’eau était vide. Chevaucheur le rejeta sur le côté avec un grognement résigné, puis il se retourna pour me regarder, couvrant et découvrant ses yeux d’une main. Je pensais qu’il s’agissait là d’un signe d’embarras, mais il le fit à nouveau, me regardant sévèrement.

Chakas m’expliqua : Il veut que vous vous couvriez les yeux. Ça aide.

Je couvris mes yeux.

Continuez de marcher, dit Chakas. Si vous vous arrêtez, on vous perdra.

Je ne pouvais m’empêcher de soulever mes mains pour jeter un coup d’œil.

Ne regardez pas. Avancez à l’aveugle, insista Chevaucheur.

Nous marchons en cercle, déclarais-je.

Ce qui ressemble à des cercles ! s’enthousiasma Chevaucheur.

Le soleil les affectait. Je ressemblais à quelqu’un en charge de deux humains qui avait prit un coup de chaud.

A gauche ! cria Chakas. A gauche, maintenant !

J’hésitai, soulevai mes mains et vis mes deux guides - à plusieurs pas devant moi - disparaître brutalement, comme avalés par l’air vide. Ils m’avaient abandonné au milieu de la plaine, entouré de sable blanc et loin de la jungle. Sur ma droite se dressait une tâche granuleuse qui pouvait être ou non le sommet central.

Je m’étais préparé au pire. Sans armure et sans eau, je mourrais ici en quelques jours. Chakas réapparut sur ma gauche. Il me prit le bras que je secouai immédiatement, et il recula tel une silhouette aplatie, ses contours disparaissant et réapparaissant par fréquence.

Faites comme bon vous semble, dit-il. Tournez à gauche ou rentrez chez vous. Si vous arrivez à trouver la sortie.

Puis il disparut à nouveau.

Je déviai lentement sur la gauche… et sentis mon corps entier frissonner. A présent, je me tenais debout sur une allée noire qui se courbait sur la droite avant de revenir sur la gauche, entourée de chaque côté par du sable blanc graveleux. Cela n’avait été qu’un déformateur et non un champ chimérique. Il y a longtemps, un Forerunner avait caché cet endroit à l’aide d’une technologie obsolète - comme s’il s’attendait à ce que cette vieille technologie soit forcée par des humains intelligents et déterminés.

Devant, à présent clairement visibles, douze armures de combats Fore-runners de taille moyenne, et non des singes blancs, étaient arrangées dans un large ovale sur une centaine de mètres à travers l’axe principal. J’avais passé de longues heures à étudier de vieilles armes et de vieux vaisseaux afin de mieux les distinguer parmi des découvertes plus intéressantes. Ravalant ma déception, je les reconnus comme étant des Sphinx de Combat - pilotés sur le champ de bataille par les Serviteurs-Guerriers des âges passés qu’on ne trouvait plus maintenant que dans les musées. Antiques, sans aucun doute, et certainement encore actives et puissantes - mais elles ne présentaient aucun intérêt pour moi.

C’est tout ce que vous vouliez me montrer ? demandais-je, indigné.

Chakas et Chevaucheur se tenaient à l’écart, debout dans des positions de recueillement, comme s’ils débutaient une prière. Etrange. Les humains priaient d’antiques armes ?

Je fis revenir mon regard sur le cercle gelé. Chaque Sphinx de Combat était haut de dix mètres et long de vingt - plus grands que les armures Forerunners contemporaines qui possédaient la même fonction. Une queue allongée cont-enait un ascenseur et fournissait l’énergie nécessaire, et d’où montait un torse épais et arrondi jusqu’au front. En haut du torse, finement intégré à l’ensemble du design curviligne, se perchait une tête abstraite au visage sévère et hautain - une cabine de contrôle.

Je fis un pas en avant, décidé à traverser la section de plaine entre l’allée et les « géants » blancs disposés autour du centre de la désolation.

Chakas leva ses bras croisés et soupira.

Chevaucheur, depuis combien de temps ces monstres sont-ils ici ?

Depuis très longtemps, répondit Chevaucheur. Avant que grand-père ne s’envole pour faire briller la lune.

Il veut dire que cela remonte à plus de mille ans, interpréta Chakas. Lisez-vous les vieilles écritures Forerunners ?

Certaines, dis-je.

Cet endroit n’aime pas les humains, fit Chevaucheur. (Il plissa ses lèvres et secoua la tête vigoureusement.) Mais grand-père attrapait des abeilles dans un panier… Tu lui racontes le secret ? demanda Chakas en plein désarroi.

Oui, répondit Chevaucheur. Il n’est pas intelligent, mais il est bon.

Comment dites-vous ? (Chevaucheur montra ses dents et secoua sa tête vigoureusement.) Grand-père mettait les abeilles dans un grand panier. Quand elles bourdonnent fortement, s’arrêtent et secouent le panier, c’est ça. Quand elles s’arrêtent de bourdonner, il faut prendre ce chemin.

Vous voulez dire qu’il y a des balises - des balises infrarouges ? questionnais-je.

Si vous appelez cela comme ça, affirma Chevaucheur en faisant la moue. Les abeilles savent. Si vous êtes en vie, vous laissez des pierres que d’autres peuvent suivre… aussi longtemps que vous pouvez le faire.

Maintenant que je savais quoi regarder, je vis - à travers l’éblouissement - qu’il y avait en effet des lignes tordues et cassées de petits cailloux qui se dégageaient du sable blanc parfaitement lisse.

Chevaucheur nous guida le long du chemin irrégulier, marquant une pause de temps en temps afin de pépier contre lui-même, jusqu’à ce que nous nous tenions qu’à quelques mètres du Sphinx le plus proche. Je m’arrêtai dans son ombre, puis me penchai en avant pour toucher sa grande surface blanche écorchée par des siècles de guerre entre débris et poussière d’étoile. Pas de réponse. Inerte.

S’imposant face à moi, les marques abruptes restaient très lisibles.

Ils sont morts, dis-je.

La voix de Chevaucheur prit alors des accents de recueillement.

Ils chantent, dit-il. Grand-père écoute.

Je retirai ma main.

Il dit que ce sont des trophées de guerre. Importants pour ceux qui sont grands et vieux. Quelqu’un les a placés ici pour les garder, les observer, attendre. Pour une guerre, je suppose ? demanda Chakas en me regardant comme si je pouvais le savoir.

Je le savais. Du moins, je le supposais. Les Sphinx dataient de l’âge des guerres entre Humains et Forerunners, dix mille ans auparavant ou presque. Mais je ne me sentais pas encore à l’aise lors des discussions avec mes guides.

Chevaucheur quitta l’allée et marcha lentement autour de l’unité de combat. Je le suivis, observant les points réguliers de la queue courbée de l’armure, les interstices béants entre chaque fourche menaient, à n’en pas douter, aux propulseurs. Il n’y avait pas d’assistance de guidage apparent. Sur le côté opposé, je notai les contours de commandes rétractées et de boucliers éteints.

Enfermée ici-bas depuis des milliers d’années, fis-je. Je doute qu’elles aient une quelconque valeur.

Pas pour moi, fit Chevaucheur en levant les yeux vers l’humain plus jeune et plus grand avec les lèvres gonflées.

Pour lui, peut-être, dit doucement Chakas, flânant au centre de l’ovale - un endroit vide de sable déformé. Ou pour elle.

Lui ou elle ? demandais-je.

Qui vous a choisi ? Qui vous a guidé ? me questionna Chakas.

Vous parlez de la Bibliothécaire ? demandais-je.

Elle est venue à nous lors de notre naissance, raconta Chakas, le visage sombre et rempli d’indignation et de quelque chose d’autre. Elle nous surveillait pendant que nous grandissions, elle connaissait le bien et le mal. Elle était emplie de joie lors de nos triomphes, et s’attristait de notre mort. Nous ressentons tous sa présence.

Nous la ressentons tous, confirma Chevaucheur. Nous avons attendu jusqu’au bon moment, et jusqu’au parfait idiot.

Il ne faisait aucun doute que, sous sa protection, ces humains étaient devenus arrogants et suspicieux. Mais je ne pouvais rien y faire. J’avais besoin d’eux. Est-elle là-bas ? demandais-je en pointant le sommet central.

Nous ne l’avons jamais vue, dit Chakas. Nous ne savons pas où elle se trouve. Mais elle vous a envoyés, c’est une chose dont je suis sûr.

Mon auxiliaire. Ils avaient certainement plus raison qu’ils ne le pensaient.

Elle doit posséder un grand pouvoir en effet, pour arranger tout cela, dis-je.

Mais ma voix manquait de conviction.

La chance est de son côté, dit Chakas.

Une fois encore, les anciens Forerunners avaient conspiré pour diriger ma vie.

Chevaucheur plia et agita sa main sur ce qui semblait être une travée vide de sable. Ce mouvement poussa sur le côté une brume basse, révélant durant un instant un grand morceau plat de lave noire.

Bon pour les murs.

Nous montâmes sur la roche au centre de l’ovale bordé par les Sphinx. Soudain, je sentis un froid - conscient que j’étais dans un lieu sacré non pas pour les humains, mais pour une toute autre puissance.

Quelque chose de grand et d’ancien était proche - un Forerunner, chose dont j’étais sûr, mais de quel rang ? En considérant les Sphinx, un Serviteur-Guerrier était le plus probable.

Mais vieux de quel âge ?

Du temps des guerres humaines ? Il y a dix mille ans.

N’aime pas être ici, fit Chevaucheur. Pas assez brave que grand-père. Continuez. Je reste.

Suivez les pierres et les rochers, fit calmement Chakas. Lorsque les rochers s’arrêtent, vous serez plus loin qu’aucun humain ait jamais marché et vécu. Aucune raison d’y aller, je ne peux pas - et Chevaucheur non plus.

Le jeune humain transpirait, ses yeux tremblaient en tous sens.

L’univers des Forerunners était une riche histoire d’impossibilités qui prenaient vie. Je me considérais comme un pragmatique, un réaliste, trouvant la plupart de ces histoires peu satisfaisantes, irritantes, mais jamais effrayantes. A présent, je n’étais pas seulement irrité, j’étais effrayé - bien plus effrayé que sur le bateau.

Lorsque des Forerunners mouraient - en général pas accident ou, en de rares occasions, lors d’une guerre - des cérémonies complexes étaient ordonnées avant que leurs restes ne soient déposés dans des feux en fusion en fonction des activités de leurs rangs.

Tout d’abord, les derniers fragments de souvenirs d’un Forerunner étaient extraits de son armure qui préservait durant quelques heures des schémas mentaux de son occupant. Cette essence réduite - un fragment spectral de personnalité et non un être entier - était placée dans un Durance résistant à l’épreuve du temps. Le corps était ensuite immolé par le feu dans une cérémonie solennelle où seuls les proches pouvaient y assister. Un fragment de plasma de l’immolation était préservé par le Maître de la Bure qui le mettait en sécurité avec l’essence dans le Durance. Le Durance était ensuite remis aux membres proches de la famille du Forerunner décédé, qui devaient alors s’assurer qu’il ne serait jamais profané. Un Durance possédait une demi-vie de plus d’un million d’années. Les familles et les proches étaient très protecteurs envers de tels lieux. Dans ces trésors qu’étaient les manuels de chasse, j’avais lu au cours des années que les chercheurs étaient fréquemment mis en garde lorsqu’ils observaient les signes pour éviter de tels lieux. Profaner un Durance familial était définitivement considéré comme un sacrilège. Quel monde honteux, murmurais-je. Aucun Forerunner ne souhaiterait être enterré ici.

Chakas referma sa mâchoire et me regarda fixement.

Tout cela n’a aucun sens, persistais-je. Aucun Forerunner de haut rang ne voudrait être enterré ici. De plus, quel trésor pourrait être gardé près d’une tombe ? continuais-je, formant mes paroles arrogantes plus durement. Et si vous n’avez jamais rencontré la Bibliothécaire, comment…

Lorsque je vous ai rencontré pour la première fois, j’ai su que vous étiez celui que nous attendions, dit Chakas. Elle est venue à nous lors de notre naiss… Vous l’avez déjà dit.

Et nous a dit ce que nous devions faire.

Comment pouvait-elle savoir à quoi je ressemblais ?

Chakas ignora mes propos.

Nous vouons nos vies à la Bibliothécaire, chacun de nous.

Une Biothéoricienne aussi puissante que la Bibliothécaire avait certainement les moyens d’imposer une commande génétique sur plusieurs générations sur les objets de son étude. Dans les âges passés, une telle contrainte aurait été appelée sortilège. Certains étudiants de la Bure croyaient même que les Précurseurs avaient apposé un sortilège sur les Forerunners…

Je regrettais de plus en plus d’avoir dû laisser mon armure sur le bateau. Je désespérais de demander à mon auxiliaire comment ces humains savaient qu’ils devaient m’attendre.

Qu’auriez-vous fait si j’étais rentré chez moi et abandonné cette quête ?

Derrière nous, Chevaucheur renifla. Chakas sourit. Ce sourire n’affichait aucun humour, ni un prélude à une agression, mais il affichait du mépris à ce que je pouvais en dire.

Si nous sommes si faibles et notre monde si honteux, pourquoi êtes-vous effrayés ?

Des choses mortes, fit Chevaucheur. Une mort Forerunner. Notre mort est salutaire.

Bien, mes ancêtres peuvent rester dans le sol et j’en serais tout à fait heureux, admit Chakas.

Leurs paroles étaient blessantes. Avec un brusque excès de confiance, et peut-être même une légère arrogance, je commençai à marcher vers le centre du cercle, dégageant la brume par les oscillations de mon pied, cherchant les pierres posées par les premières générations de hamanune. On aurait pu croire que je dansais en traversant le centre, le regard empli d’une désapprobation maussade en dépassant l’ovale où reposaient ces Sphinx de Combat. D’antiques armes, une ancienne guerre. Les Sphinx arboraient les cicatrices d’anciennes batailles, d’anciennes guerres dont plus personne ne se souciait aujourd’hui.

Je regardai par-dessus mon épaule. Chakas était négligemment penché contre l’avant d’un Sphinx. Le visage sévère de l’engin lui lançait un regard noir tel un prêtre désapprobateur.

Il en fallait beaucoup pour provoquer à la guerre les gens de mon peuple, mais une fois provoquée, la guerre se répandait impitoyablement, entièrement, grâce à nos Serviteurs-Guerriers. Il y avait une sorte d’embarras dans cette lente montée de fureur que les Forerunners ne souhaitaient pas reconnaître. Il en allait tellement contre la Bure que nous luttions ardemment pour l’héritage et la sauvegarde, mais défier les Forerunners, c’était avant tout montrer du mépris envers la Bure elle-même.

Peut-être était-ce le cas ici. Des monuments du passé. Des passions, de la violence et de la honte, toutes cachées. Les ombres d’une histoire oubliée. A une vingtaine de mètres du centre du cercle, un accrochage sur le côté de la sandale de mon pied révéla un autre petit mur noir. Au-delà du mur, il n’y avait plus de pierres - ni de balises. Je me mis à genoux et enfonçai ma main dans le sable, le tamisant entre mes doigts. Le sable retomba, se lissa à nouveau, dénué de toute trace. Mais dans ma paume, le sable avait laissé un cadeau étrange.

Je le tournai entre mes doigts.

Un éclat d’os.

Mes empreintes n’avaient laissé aucune trace. Le sable ne s’accrochait pas à mes sandales ou à mes pieds, et aucun grain ne restait dans mes paumes, ni sur ma peau, nulle part. Une carrière de sable construite pour résister aux tempêtes et aux intrusions, construites pour résister aux âges, pour ne jamais disparaître, pour ne jamais être totalement oubliée.

Conçue pour tuer tout intrus non initié aux rituels particuliers. Tout le monde n’était pas accepté ici. Au-dessus de moi, quelque chose assombrit le ciel. J’avais étudié si précisément le sable que je n’avais pas senti le frémissement du sol, ni entendu le son subtil et précipité du vaisseau jusqu’à ce que son ombre passe et que je lance brusquement mon regard vers le ciel.

Comme je l’avais craint, l’un des vaisseaux d’extraction minière de mon père de substitution m’avait retrouvé. Réticente face à la honte de m’avoir perdu, ma famille de substitution avait lancé des investigations à travers tout le système à la recherche de leur pupille.

Je me mis aussitôt debout, attendant que le vaisseau descende, attendant d’être soulevé du sol et de m’envoler au loin avant même d’avoir la moindre idée de ma présence ici. Je me retournai et regardai au-delà du cercle de machines de guerre. Chakas et Chevaucheur se trouvaient là où je ne pouvais les voir. Ils avaient dû se baisser dans la brume ou bien avaient dû courir dans le champ chimérique, droit vers les arbres.

Le vaisseau d’extraction était laid, terne, seulement pratique. Son ventre était agrémenté de grappins, d’appareils de levage et de découpeurs et de containers apparents. Si le capitaine de ce vaisseau le désirait, ses appareils pouvaient aisément transformer tout le Cratère Djamonkin en une tornade fumante de roches et de minerais tournoyante, tamisant, levant et stockant tous les composants qu’il pourrait emporter.

Je détestais ce que cet engin faisait.

Je les détestais tous.

Le vaisseau continua sa lente et stable descente au-dessus du cratère. Le sable ne se creusait pas sous la pression de ses propulseurs, la roche ne tremblait pas ; je n’entendais rien si ce n’était un faible bourdonnement, comme le vent passant dans les arbres. Je laissai tomber mes épaules et me mis à genoux dans une posture de soumission, sans aucun autre choix. Je pouvais m’échapper à nouveau, mais j’en doutais.

Après un certain temps, le bord flouté opposé de l’ombre du vaisseau passa sur mon corps et la lumière du soleil se diffusa à nouveau de l’autre côté de la désolation sablonneuse. Le vaisseau minier remonta lentement dans une grâce pesante, puis il s’envola et se précipita vers le sommet central. Il partait. Je ne croyais pas en ma chance. Peut-être que les subterfuges de l’île nous cachaient des recherches minutieuses du vaisseau extracteur…

Mon soulagement fut de courte durée. J’entendis un gémissement mélan-colique. Chakas et Chevaucheur s’étaient joints dans une chanson atroce. Cela n’avait aucun sens. Le sable qui avait résisté à la pression intense du vaisseau minier tourbillonna à présent sous mes pieds et me renversa. Les ondulations m’éjectaient, me soulevant comme une vague. Je me jetai sur le côté et fut balayé dans une spirale vers le mur de pierre. Je me cognai durement contre la lave brute. Tout s’arrêta, mais une cavité parfaitement hémisphérique s’abaissa dans le sol devant moi. Au centre, un cylindre blanc dépassait avec au bout un chapiteau en pierre noire et monta doucement à une hauteur de plus de cinquante mètres.

Chakas et Chevaucheur stoppèrent leur gémissement. L’île s’apaisa. Il n’y avait rien à dire, aucun commentaire à faire.

Le vaisseau minier disparut en passant derrière le sommet, puis il tourna au nord, et se retrouvait presque au niveau de l’horizon à présent. Mes compa-gnons réapparurent, se relevant de la brume basse. Chevaucheur sortit du chemin balisé en courant, les bras tendus afin de garder l’équilibre, puis s’arrêta sur le petit mur, me regardant de haut. Il s’accroupit, le bout des orteils rétracté sur le bord du mur. Cette énormité, dit-il, elle est à ta recherche ? Il n’est vraiment pas facile de se cacher correctement d’un vaisseau extracteur, observais-je. Leurs scanners sont puissants et minutieux. Endroit spécial, fit Chevaucheur. Chakas marcha à grand pas vers nous, claquant ses dents avec une fibre de palmier - un geste qu’il pensait pouvoir faire passer comme une certaine sophistication. Ça a fonctionné, dit-il en plissant les yeux. Vous avez chanté pour le faire partir ? demandais-je. Pas de chanson, affirma Chevaucheur. Ils se regardèrent l’un l’autre et haussèrent les épaules. Je me retournai afin d’examiner la colonne qui était sortie de la cavité. Assurément Forerunner, elle était cependant de loin trop proéminente pour être un Durance. De par sa couleur et sa forme, elle semblait adopter le style sévère d’une balise que l’on pouvait trouver à l’extérieur d’un temple dédié au combat, commémorant le regret et la peine éternelle. Un monument militaire était certainement plus en accord avec les Sphinx de Combat.

Je marchai vers la cavité et me tins debout sur le rebord durant un instant, reconsidérant mes idées. L’île avait été fréquemment visitée par les hamanune. Ils l’avaient explorée, avaient construit des murs, avaient laissé des traces et avaient continué à défier le champ chimérique.

Je roulai l’éclat d’os entre mes doigts.

Puis, comme s’ils avaient renoncé, les humains étaient partis - quittant l’île pour la laisser à ses propres mystères. Plus tard, cependant, des visiteurs - principalement des Floriens, à mon avis - avaient de nouveau commencé à traverser le lac rempli de merses, comme l’anticipation d’un changement, d’un éveil. Suivant ses sortilèges. La Bibliothécaire avait de toute évidence confié à ces peuples une tâche particulière et très difficile.

Et maintenant, la musique.

Nous étions tous là pour quelque chose. Je pouvais le sentir. Mais dans quel but ?

Les deux humains observaient depuis le mur interne avec une attente curieuse.

Une idée ? lança Chakas.

Allez-y, suggéra Chevaucheur en bougeant les doigts. Elle vous accueillera.

Tu n’en sais rien, fit Chakas au Florien.

Je le sais, insista Chevaucheur. Descendez. Touchez-la.

J’avais étudié presque toutes les sources concernant les mythes des Précurseurs et les trésors. Mais maintenant, j’essayais avec difficulté de me souvenir d’autres contes… des contes que j’avais entendus dans ma jeunesse lors des pratiques étranges des plus hauts membres des Serviteurs-Guerriers connus sous le nom de Prométhéens : des pratiques désuètes que l’on voyait rarement de nos jours - c’est-à-dire à l’époque de ma famille. Des pratiques qui impliquaient la séquestration et l’exile de soi-même. Dans les archives des chercheurs de trésors, certains contes étaient inévitablement suivis d’avertis-sements. Si quelqu’un trouvait quelque chose appelé un Cryptum, ou bien une Forteresse de Guerrier, celui-ci devait s’en aller. Violer un Cryptum, quoi que cela puisse être, entraînait de désagréables conséquences, et non des moindres pour celui qui irritait la guilde très protectrice des Serviteurs-Guerriers.

Cela pouvait expliquer le fait que le vaisseau minier soit reparti.

Pour ce qui était probablement la première fois dans ma vie, je décidai de réfléchir un peu avant de me lancer dans une quelconque action insouciante. Je reculai de la cavité, rejoignant les humains sur le muret et m’assis aux côtés de Chakas. Il souleva son chapeau en branche de palmier et s’essuya le front. Trop chaud pour toi ? demanda-t-il.

Vos cris… votre chanson. Où l’avez-vous apprise ?

Pas de chanson, répéta Chevaucheur.

Son regard était perplexe.

Dites m’en plus sur la Bibliothécaire, lançais-je. Elle vous protège. Elle vous a marqués à votre naissance. Comment vous a-t-elle marqués ? Elle ne nous a pas marqués. Elle nous a rendus visite, fit Chakas. Nous t’avons dit qui nous étions et pourquoi nous étions ici. Même si ce n’est pas un secret, il est difficile de se souvenir.

Combien de jeunes Forerunners imbéciles avez-vous emmenés jusqu’à cet endroit ? Questionnais-je.

Chakas sourit.

Vous êtes le premier, dit-il, puis il recula comme si j’avais l’intention de le frapper.

La Bibliothécaire vous a dit d’amener un Forerunner ici, c’est ça ?

Elle surveille tout, affirma Chevaucheur en claquant des lèvres. Une fois, nous étions grands et nombreux. Maintenant, nous sommes peu et petits. Sans elle, nous serions morts.

Chevaucheur, ta famille connaît cette île depuis très longtemps, dit Chakas. Depuis combien de temps ? Un millier d’années ? Plus.

Neuf mille ans ?

Peut-être.

Depuis l’époque où la Bibliothécaire s’était retrouvée en charge d’Erde-Tyrene. Depuis que les humains avaient régressé et s’étaient exilés ici.

Une Forteresse de Guerrier, s’il s’agissait bien de cela, cachée sur une planète d’exilés. Je discernais une vérité, mais je n’arrivais pas à me focaliser dessus. Quelque chose en rapport avec les politiques Forerunners et la guerre humaine… Je ne m’étais jamais vraiment soucié de ce genre d’histoire. En ce moment même, mon auxiliaire me manquait. Elle aurait pu avoir accès presque immédiatement aux quelques informations dont j’avais besoin.

Le soleil s’étalait à l’ouest. Bientôt, il passerait derrière le sommet central, nous plongeant dans l’ombre. Cependant, à présent, la chaleur de l’île annulaire était à sa plus grande intensité, et je commençais à m’y habituer, assis sur le mur noir, entouré d’un sable blanc étincelant - du sable discipliné, fait pour rester ici au fil des âges.

Je me mis debout, poussé par mon esprit, et m’éloignai de la cavité et du pilier.

Ramenez-moi à la plage. Et appelez le bateau.

Les deux humains me regardèrent, mal à l’aise.

Le bateau ne reviendra pas avant des jours, me dit Chakas.

Je suppose qu’ils seraient heureux d’abandonner ici un jeune Forerunner idiot, s’enfuyant à toutes jambes avec son armure, voguant à nouveau vers Marontik. Mais cela n’avait aucun sens pour eux d’être dépassé ici par leur victime malchanceuse.

Je les regardais du coin de l’œil. Le soleil agressait mes yeux.

Vous n’aviez rien prévu de tout cela, n’est-ce pas ? leur demandais-je.

Chevaucheur balança sa tête. Chakas se servit de son chapeau comme d’un éventail.

Nous pensions que vous feriez quelque chose d’excitant.

On attend toujours, remarqua Chevaucheur.

L’endroit où nous vivons est ennuyeux, affirma Chakas. Là-bas… (Il balança sa main en direction de la masse bleutée et chaude) Peut-être que vous et moi, nous aurions eu les mêmes racines. Peut-être que vous et moi, nous aurions eu la même façon de penser.

Quelque chose me raidit le cou, puis devint une douleur générale, mais ce n’était pas les derniers rayons du soleil éblouissant. Je pouvais sentir les deux humains à côté de moi, tranquillement assis sur le mur de roche, patients, ennuyés - insoucieux du danger. Tout comme moi dans bien des situations.

Bien trop comme moi.

Il y a des moments dans la vie où tout change, où tout change d’une manière importante. Les anciens textes sophistiqués référaient ces moments comme des synchrones. Les synchrones étaient supposés lier les forces et les personnalités ensemble. On ne pouvait les prédire ni les éviter. On ne pouvait que rarement les sentir venir. Ils ressemblaient à des nœuds rampant le long de nos propres lignes de temps. A la fin, ils nous liaient aux grands courants de l’univers - nous réunissant en un destin commun.

Ce cratère entier est un mystère, commença Chakas. J’en ai rêvé toute ma vie. Mais si je marchais à l’intérieur de ce cercle, ou bien pénétrais les lignes labyrinthiques, cela me tuait. Quoi que cela puisse être, ça n’aime pas les humains. Le sable descend au fond de nos gorges. Lorsque nous sommes morts, la montée du sable s’arrête et il s’en va. Maintenant, nous vous amenons ici, et tout change. Cet endroit vous reconnaît.

Pourquoi quelque chose de valeur, ou même d’intéressant, reposerait ici, sur un monde recouvert de gens ?

Va demander, me suggéra Chevaucheur en pointant la colonne.

Quoi qu’il vous arrive, nous chanterons votre histoire sur le marché.

Le crépuscule était sur nous, mais l’air restait encore chaud. Je savais que je devais me diriger vers le pilier. Si je ne pouvais manipuler un Cryptum, le moment viendrait sûrement où mon courage faillirait en me retrouvant face à une chose étrangère et très ancienne.

Je me levai du mur et fit un pas en avant. Puis je me retournai vers les deux humains.

Sentez-vous cela ? Questionnais-je.

Chevaucheur fit tourner deux doigts - oui - sans hésitation, mais Chakas me demanda : Sentir quoi ?

Ces liens qui nous unissent.

Si vous le dites, fit Chakas.

Des mensonges. Des subterfuges. Des êtres inférieurs seulement utilisables en tant que spécimens à garder. Bien sûr, le sable les étoufferait. Mais pas moi.


Chapitre TROIS

JE ME MIS debout sur le rebord et descendit dans la cavité. Premier pas. Le sable ne coulait pas et me permettait de rester droit, comme si chaque pas dessinait sa propre marche d’escalier. Second pas. Rien.

Après quelques secondes, je me tenais à côté du pilier, son large chapeau noir apparaissant indistinctement au-dessus de moi. Les ténèbres tropicales qui glissaient sur l’île étaient profondes, mais les nuages s’en allèrent et les étoiles, dans une ceinture scintillante et diffuse, illuminaient le sable, la cavité et le pilier. Je me mis à genoux. Autour de la base s’enroulait une unique ligne de texte dans les anciens caractères presque effacés de Digon, utilisés presque exclusivement par les Serviteurs-Guerriers - et dans l’histoire récente, uniquement par leur classe la plus puissante, les Prométhéens. J’étais loin de ma famille, de ceux de mon rang et de ma classe, mais ce que je lisais dans ces caractères définissait presque mon attitude dans l’existence : Nous sommes ce que nous défions.

Tout semblait à sa place. Cela confirmait ce que j’avais précédemment ressenti. Un jeune Forerunner, un Manipuleur faible, recruté de manière experte par l’auxiliaire de la Bibliothécaire - sur les instructions mêmes de la Bibliothécaire. On l’avait déposé sur l’île annulaire dans le Cratère Djamonkin, puis guidé jusqu’à un étrange endroit de sable blanc gardé par d’impassibles Sphinx de Combat. Ses guides lui avaient vivement recommandé de traverser une terre morte et stérile de sable et de pierres, puis, face à l’inconnu le plus complet, ils avaient chanté une chanson préprogrammée et pour la première fois en mille ans, le site avait changé, réagi, répondu.

Nous sommes ce que nous défions.

Le synchrone était sûrement sur moi. Par les sensations qui montaient et descendaient dans mon dos et dans mon nez, je sentais qu’une boucle de connections de lignes mondiales me liaient pour un long moment - peut-être même pour toujours - aux deux humains qui attendaient dans l’obscurité, derrière, sur le cercle de pierre. Je me demandais s’ils en avaient conscience.

J’allongeai le bras et posai ma main sur la surface lisse du pilier. La pierre froide paraissait trembler sous mes doigts. Une voix vibra au-dessus de mon bras et se répercuta dans les os de ma mâchoire.

Qui vient troubler le voyage méditative du Didacte ?

Abasourdi, je me figeai. Mes pensées s’éveillèrent avec panique et étonnement. Les histoires qui faisaient échos à travers les milliers d’années… le Didacte ! Ici, entouré par les derniers humains de la galaxie… Non, même un imbécile tel que moi ne pouvait croire en une telle chose. Je ne savais quoi faire ou dire. Mais dans l’obscurité derrière moi, les humains recommencèrent à chanter. Et avec cette chanson gémissante et hésitante, le ton de la voix du pilier changea pour devenir plus stimulante.

Un message de la Faiseuse de Vie elle-même, amené de façon étrange… mais le contenu est correct. Le temps est-il venu pour le Didacte de se réveiller et de revenir à ce plan d’existence ? Un Forerunner doit répondre.

Il n’y avait qu’une seule réponse raisonnable : Non. Désolé. Laissez-le être ! Nous allons partir maintenant…

Mais nous sommes ce que nous défions, et la chance de rencontrer son héro, l’ennemi de tous les humains… Seul le plus idiot des Forerunners oserait cela, et ainsi, une fois de plus, j’avais été parfaitement choisi.

R-r-réveillez-le, dis-je. Je veux dire, faites-le revenir… ?

Faites-le revenir. Un Forerunner a ordonné ceci. Restez sur le côté, jeune messager, m’intima la voix. Le pilier redescendra. C’est un sceau millénaire, retenu par la sagesse d’Harbou, renforcé par la force de Lang - et la force de son infraction sera grande.


Chapitre QUATRE

LE SABLE DE la cavité tourbillonna en plusieurs crêtes vers l’extérieur, s’effaçant autour de moi mais sans jamais me renverser. Le pilier paraissait fondre, s’enfonçant dans le sable. Le mouvement se creusa plus profondément, révélant un large vaisseau de forme ovoïde originellement enterré sous la surface. Je reculai, sans trébucher et m’extirpa de l’excavation.

Les deux humains et moi-même attendîmes une nouvelle fois sur le mur, esquivant le sable qui se soulevait et formait de parfaits amas coniques de tous côtés. Finalement, la fosse se transforma en puits.

Le grand vaisseau de cuivre et d’acier, d’une hauteur de dix mètres et autant de large, brillait comme s’il avait été récemment construit.

Chevaucheur se parlait à lui-même, chantant sans aucun doute de petites prières à de petits dieux. Ou bien peut-être que le hamanune avait de grands dieux, des dieux énormes afin de compenser. Chakas ne faisait rien à part regarder et sauter sur le côté quand cela était nécessaire.

Il était déjà assez dangereux qu’un Forerunner d’un autre rang dérange le Cryptum du Didacte, mais si en effet ce vaisseau contenait le grand guerrier Prométhéen, il pouvait se montrer très mécontent de se retrouver en présence des descendants de sa vieille ennemie.

Une fois de plus, la voix résonna dans les os de mon crâne.

Distance de sécurité minimale, cinquante-cinq mètres. En attente. Sceau millénaire brisé dans cinq, quatre, trois, deux…

Regardez là-bas, dis-je aux deux humains.

Comme un seul geste, nous protégeâmes nos yeux.

J’entendis un grondement crépitant et vis, à travers mes paumes même, un flash transchronique bleuté. Il révéla les os de ma main. Je le sentais dans mes entrailles. Il me fit me sentir infiniment vieux, comme si je pouvais m’effondrer en poussière. Il me semblait ressentir de profondes impulsions de mémoires venues de tout ceux qui avaient choisi d’entrer dans un Cryptum et qui étaient toujours scellés dans une profonde transcendance méditative, unis comme des frères et des sœurs dans l’éternel xankara.

La nuit fut illuminée d’un autre flash, entièrement blanc, émanant entre des arcs de feu verdâtre. Derrière nous, à travers la jungle, les feuilles de palmiers se balançaient de manière extravagante, prises dans les changements de vents. Je regardais tout autour de moi, mais surtout vers le vaisseau du Cryptum.

Puis tout s’arrêta. Le puits s’apaisa. Les rémanences dansèrent dans l’obscurité et disparurent. A présent apparaissaient les premières traces de l’aube. C’était comme si à peine quelques secondes venaient de s’écouler, et pourtant, le matin était sur nous. Rapidement, tout s’éclaira, nous permettant de voir clairement ce que nous venions de faire.

Le vaisseau ovoïde s’était séparé en trois sections au-dessus de sa ceinture médiane. Les sections étaient ouvertes vers l’extérieur comme le calice de protection qui tombait afin de dévoiler une fleur. Mais le grand personnage qui s’y révéla était loin d’être aussi beau qu’une fleur. En réalité, pelotonné comme une sorte d’embryon monstrueux et ridé, il ressemblait à un grand cadavre décomposé par le temps - momifié.

Lors de mon passage en ville, on m’avait offert un tour dans des catacombes remplies de morts humains, une atteinte honteuse et typique envers ces êtres décomposés, selon moi. Il y avait certaines choses pour lesquelles je ne montrais aucune curiosité. Encore maintenant, je considérais la honte mortelle d’un Prométhéen. Je n’avais aucune idée de ce qui était arrivé au Cryptum ni pourquoi un Forerunner d’une telle prestance et d’un tel rang avait choisi ce genre d’exil, peut-être par pénitence ou par folie…

Au début, je n’avais pas entendu les Sphinx s’approcher. Depuis leur cercle gelé, trois machines avaient déplié de grandes jambes courbes et marchaient à présent sur les petits murs de roche noir. Entre leurs jambes balançantes et les grappins se déversait une puissante lumière bleue étincelante. Le Sphinx le plus proche déploya quatre bras situés juste sous la cabine de contrôle vide qui lancèrent alors des filins argentés en un réseau desserré. Alors le Sphinx nous dépassa et descendit dans le puits. De l’autre côté du cercle, un Sphinx descendit à son tour, et atteignit le Cryptum ouvert afin de soulever avec douceur le corps décharné du Didacte. Avec une patience infinie, les machines enveloppèrent le corps dans un réseau de filins puis elles quittèrent le puits, le réseau de filins et son contenu se balançant lentement entre elles. Elles portèrent le Didacte au-dessus de nos têtes, et je levai les yeux vers la peau ridée, le peu de vêtement restant dissimulant les hanches osseuses du corps. Je ne pouvais voir ni son visage ni sa tête, mais je me rappelais les Serviteurs-Guerriers qui étaient venus rendre visite à ma famille à Orion… Puissants, extrêmement beaux, me donnant dans ma calme et sereine chambre d’enfant une vision de force et celle des cauchemars d’une grande destruction.

Comme tous les Prométhéens parmi les Serviteurs-Guerriers, le Didacte, réanimé et défrisé, pouvait atteindre deux fois ma hauteur et peser jusqu’à quatre ou cinq fois mon poids. Ses épaules avaient sûrement dû être aussi larges que mes bras tendus. Mais à présent, sans son armure, vivant ou mort, il paraissait aussi vulnérable et laid qu’un poussin.

Avec une démarche rapide et pleine d’humilité, je suivis les machines et sautai sur les murs, ignorant le chemin balisé. Chakas ne dit rien alors qu’il marchait derrière moi. Chevaucheur continuait les chants cérémoniaux de ses ancêtres et restait en arrière.

Est-ce vraiment le trésor ? demanda Chakas, dubitatif.

Ce n’est pas un trésor, répondis-je. Un désastre. Tout Forerunner qui dérange un Cryptum… Sanctions. Déshonneur.

Qu’est-ce qu’un Cryptum ? me questionna Chakas.

Une voûte pour les âges. Dans la recherche de la sagesse, ou bien pour fuir une punition, un Forerunner d’âge mûr peut choisir le chemin de la paix infinie. Cela n’est accessible que pour les plus puissants et dont une punition peut paraître inadéquat aux yeux des hiérarchies Forerunners.

Vous le saviez lorsque vous l’avez ouvert ? Vont-ils également punir les humains ?

Pas de défense. Pas d’excuse. Je ressentais de la gêne et de la tristesse.

Ce n’était pas moi, pas juste moi. Vous avez chanté la mélodie correspondante, et ça vous a entendu, affirmais-je. Vous êtes heureux de partager la responsabilité ?

Chevaucheur nous rattrapa, courant sur le côté et balançant ses bras.

Nous n’avons pas chanté, fit le petit humain.

Chakas haussa les épaules et regarda au loin.

Je me posais des questions sur leur témérité, sur le fait qu’ils n’aient pas fui vers la jungle. Les Sphinx de Combat brisèrent l’ellipse de leurs compagnons toujours éteints et, sans ralentir, ils la traversèrent, puis se poussèrent et pénétrèrent violemment dans la jungle.

Deux autres des douze Sphinx originaux soulevèrent alors leurs membres jetant des étincelles bleutées, les jointures foisonnantes de lumière vive, et suivirent les autres sur un chemin dégagé de verdure arrachée.

Que sommes-nous censés faire ? demanda Chakas tandis qu’on se frayait un passage entre les palmiers et les buissons brisés.

Nous attendons notre châtiment, dis-je.

Nous aussi ? Vraiment ?

Je les considérais et ressentis de la pitié. Ces Sphinx de Combat avaient sûrement tué de nombreux ancêtres de Chakas… Les humains avaient dû ?????? d’énormes péchés contre la Bure pour mériter un tel destin.


Chapitre CINQ

LES SPHINX TOURNERENT vers l’est de l’île annulaire, se dirigeant progressivement au bord du rivage intérieur. Alors que nous les suivions dans leur sillage dégagé, nous atteignîmes finalement la plage opposée et regardèrent par-delà le grand lac extérieur, vers le lointain bord du cratère.

Les Sphinx amenèrent leur fardeau sur une bâtisse basse et plate, construite en métal nu/apparent (blast), grise et anguleuse. Cette structure était dénudée de nœuds et de projecteur qui ornaient les façades extérieures dans l’architecture Forerunner. En effet, depuis le ciel, cela pouvait ressembler à un dépôt de stockage abandonné et, contre la lisière de grands palmiers, on l’aurait à peine remarqué depuis le lac. De plus en plus mystérieux.

Les quatre Sphinx s’approchèrent, en rang deux par deux. Ceux qui portaient le Didacte s’arrêtèrent devant une large rampe descendante - l’entrée. J’entendais le son d’énormes portes glissant sur le côté. Les Sphinx se faufilèrent en bas de la rampe, vers le bâtiment.

Les deux autres se reposèrent sur le sol et replièrent leurs jambes et leurs bras dans une série de faibles ronronnements et de soupirs. Le rougeoiement bleuté de leurs jointures s’obscurcit et disparut.

Nous marchâmes lentement vers les Sphinx immobiles, capricieux, sans savoir s’ils étaient là en tant que gardiens ou bien s’ils étaient juste redevenus des monuments. Comme le plus courageux d'entre nous, Chevaucheur s’arrêta afin de tapoter la surface rugueuse de la machine la plus proche, provoquant une exclamation chez Chakas :

- Ne fais pas ça ! Ils peuvent nous vaporiser.

- Tu ne les connais pas, affirma Chevaucheur, les yeux étroits, les oreilles hautes, les lèvres raides.

Aucun doute possible, c’était le visage du courage.

En effet, les Sphinx paraissaient plus impassibles et antiques que jamais. Je regardai fixement vers l’entrée en contrebas. Du sable s’était écoulé sur la rampe, marqué par les pas creusés des autres Sphinx. Les ténèbres enfouissaient le bas de la rampe.

Les portes étaient toujours ouvertes. Nous sommes ce que nous défions.

- Restez ici, fis-je à Chakas tout en commençant à descendre la rampe.

Il s’avança et m’attrapa l’épaule.

- Ce ne sont pas vos affaires, dit-il, comme s’il s’inquiétait de ma sécurité.

Je repoussais gentiment sa main. Le contact avec sa chair n’était pas aussi répugnant que je l’avais pensé. Elle était légèrement différente de la peau d’un jeune Forerunner - de la mienne.

Nous ne pouvions sûrement pas être des frères, tous deux insufflés par les Précurseurs…

- Je pense que la Bibliothécaire nous voulait tous ici même, lançai-je.

Ma peur s’était mêlée à ma hardiesse et à une autre qualité que je pris pour du courage, le tout formant une solution improbable. J’étais comme un insecte volant vers une flamme, certain que cela promettait, sans une justification et un salut entier, une aventure pour le moins suprême.

- Une personne a instauré des messages dans vos pensées avant vos naissances. Quelqu’un qui vous a dit d’appâter un Forerunner. Vous avez chanté les codes appropriés, ce qui a ouvert le Cryptum.

Chakas forma un O avec sa bouche, puis il se mit à genoux et tendit ses bras au-dessus de sa tête, faisant face de loin à la rampe. Chevaucheur l’imita, jetant un coup (un coup de quoi ?) vers le haut dans ma direction, incertain de savoir si c’était la bonne manière d’accomplir le rituel.

- La Bibliothécaire touche tout, dit Chakas, et ensemble, ils scandèrent des chants chuchotés.

Je continuai d’avancer vers l’obscurité. La première chambre du bâtiment était large et humide, et de quatre fois ma hauteur - juste ce qu’il fallait pour laisser entrer les Sphinx. La fraîcheur s’accumulait en bas tandis la chaleur tourbillonnait au-dessus de ma taille. Une lueur pâle de couleur verte apparut dans l’obscurité et je vis, de par leurs contours, les Sphinx qui se faisaient face au-dessus d’un grand bassin remplie d’un liquide argenté. Les filins contenant le Didacte s’étendaient entre les Sphinx, à quelques centimètres à peine au-dessus du bassin. Je m’accroupis aussi près que je l’osai du bord.

Autour de moi, pendant quelques minutes, tout fut calme.

Puis, la voix discordante s’adressa à moi une nouvelle fois :

- Forerunner, es-tu témoin de ce retour ?

J’essayai de reculer, mais une lumière blanche et brillante s’abattit sur moi depuis le plafond de la chambre, me retenant.

- Etes-vous témoin ?

- Je suis témoin, dis-je d’une voix basse et frémissante.

- Vous êtes-vous exprimé à son sujet afin de le faire rappeler ?

- Je… Je ne sais que dire.

- Vous êtes-vous exprimé ?

- Je me suis exprimé… à son sujet.

- Défendez-vous la décision de rappeler le Didacte d’une paix éternelle ?

Pour moi, le corps décharné paraissait mort. Je me demandai si cela signifiait que le Didacte était sur le point d’être ressuscité - une chose qu’on m’avait apprise comme étant impossible. Il est vrai que je ne comprenais pas ce qui arrivait, mais à cet instant je savais que l’exercice consistait simplement à dire :

- Je défends cette décision.

Depuis le plafond de la chambre, quatre sections métalliques d’armure personnelle, suffisamment grande pour un Prométhéen, s’abaissèrent lentement par dilatationS. (perso, je mettrai pas de S) Les pièces planèrent de chaque côté du réseau filin, et desquelles sortirent de longs tentacules transparents comme le verre qui se remplirent rapidement de trois liquides de couleurs différentes - des électrolytes basiques et des substances nutritives nécessaires aux longs voyages. La plupart des armures Forerunners étaient équipées de façon à garder leur porteur vivant durant des années sans un apport de nourriture extérieur.

- Approchez, m’ordonna la voix. Le Didacte est inconscient de cette réalité. Administrez-lui ces fluides régénérants.

Mon corps entier tremblait, mais je me mis à marcher dans le bassin, avançant dans le liquide argenté. Mes jambes se réchauffaient. Les tentacules se courbèrent vers moi, sans agressivité, simplement offerte, dans l’attente.

Les Sphinx avaient étendu le réseau filin de telle façon qu’il s’ouvrait sur le dessus, révélant la forme enroulée. Le visage du Didacte était maintenant visible pour la première fois. Il avait en effet un visage confiant, sa peau dessinant des rides contre le crâne qui se trouvait en-dessous.

- Appliquez les électrolytes, me dit la voix.

D’un geste déterminé, le tentacule rempli de rouge s’avança et je le saisis.

- Dans sa bouche ? Demandais-je.

- Poussez-le entre ses lèvres. Le déshydratation sera inversée. Sa rigueur sera suspendue.

Je me penchai en avant, essayant de ne pas toucher les bras décharnés, mais sans succès. La peau n’était pas froide, mais chaude…

Le Didacte n’était pas mort.

Je plaquai le bout du tentacule, une rigole étroite, contre les lèvres sèches du Didacte, puis je les séparai, révélant de larges dents blanches et grisâtres. La rigole déversa le fluide rouge entre les mâchoires serrées. La plus grande partie du fluide coula sur ses joues cadavériques et disparurent dans le bassin. Puis j’appliquai deux fluides d’un bleu nuancé. Un bruissement parvint du réseau filin - le grand corps se mettait à remuer. Les sections d’armures se plièrent au-dessus du Didacte, comme si elles désiraient l’embrasser et le protéger.

- La perte du sens de la temporalité est grande. Il revient à lui, mais lentement. Saisissez et étirez son bras, doucement, m’intima la voix. Si le bras n’avait pas été décharné, son poids m’aurait alors fait vaciller. Mais je fis ce qu’on m’avait ordonné de faire. Je fis le tour des Sphinx, soulevant et faisant tourner l’autre bras, puis je redressai et fit fléchir les jambes - presque aussi raides que du bois - jusqu’à ce que la peau prenne un autre éclat et qu’une certaine souplesse soit revenue.

Je suivis les instructions de la voix qui vibraient dans ma mâchoire, massant et nettoyant le Didacte avec les mains recouvertes du liquide argenté, alors qu’il ingurgitait davantage de fluide régénérant. Durant les quatre heures qui suivirent, j’aidai minutieusement à restaurer le Prométhéen décharné de sa longue somnolence, de son exil profond et méditatif qui était une vieille légende parmi les Forerunners de mon âge.

Le faire revenir de la joie et de la paix de l’espace éternel.

Ses yeux vitreux s’ouvrirent. Deux lentilles protectrices se dissipèrent et il cligna des paupières, levant ensuite le regard vers moi dans un épouvantable froncement de sourcils.

- Je vous maudis, murmura-t-il, sa voix semblable à un rocher tombant sur le plancher d’un profond océan. Combien de temps ? Depuis combien de temps suis-je ici ? Je ne dis rien. Je n’avais aucune idée du temps qu’il avait passé ici.

Il remua et se débattit, mais le réseau de filin le retenait pour l’éviter de bouger trop rapidement et trop tôt. Après un instant de maladresse, il retomba en arrière, épuisé, les liquides se déversant par son nez et ses lèvres. Il essaya de parler, mais avec difficulté.

Il exprima une phrase de plus - une question :

- La chose damnée a-t-elle été finalement détruite ?

- Vous pouvez partir. C’est fait, me dit la voix.

Je me précipitai hors du bassin et quittai la chambre. Les humains m’attendaient, mais j’étais trop secoué et trop effrayé pour pouvoir parler. </toggledisplay>